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sang de son équipage, je parierais, dis-je, qu’une fois seul il pleura.

Les quelques jours qui suivirent notre victoire s’écoulèrent tristes et sombres pour tout le monde. Le grand nombre de blessés que nous avions à bord rendait le service plus pénible. Le manque de provisions, du moins relativement parlant, qui nous imposait déjà de dures privations, le mauvais temps ordinaire qui continuait de durer et ne cessait un instant que pour faire place à ces terribles tempêtes, l’effroi des anciens navigateurs, qu’apportaient les vents du S.-E. dans ces redoutables parages, augmentaient nos fatigues et commençaient à amener la maladie à bord de la frégate.

La fatalité qui jusqu’alors semblait s’être acharnée après nous était loin de se ralentir. En vain nos vigies examinaient-elles avec soin l’horizon, pas une voile ne se montrait ! Et cependant nous nous trouvions, au point de vue de l’intérêt, dans les meilleurs parages possibles, dans une latitude forcément fréquentée par tous les vaisseaux dont la course s’étend au-delà de l’équateur ! L’équipage, rendu plus superstitieux encore par cette longue série de malheurs, commençait à prétendre que le navire était maudit. Chacun se rappelait une circonstance néfaste qui avait précédé notre départ de l’île de France pour cette croisière. L’état moral des hommes empirait de plus en plus chaque Jour.

Une seule idée nous soutenait : celle que bientôt nous voguerions vers l’île de France ! Alors, que de projets de bonheur réalisés ! Cette fois, ce ne sont plus des orgies que rêvent les matelots ; plus de barriques d’eau-de-vie entières servies en guise de bols de punch, plus de séduisantes mulâtresses ou quarteronnes, non ; mais de l’eau glacée, et des fruits à discrétion, des légumes savoureux,