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— Oui, monsieur, lui répondit froidement l’Hermite, cela est possible !…

— Mais, capitaine !…

— Silence ! monsieur ; je n’aime pas certaines questions, lui dit l’Hermite d’un air sévère.

La rougeur de la colère, peut-être bien encore de la douleur, empourpra les joues du jeune enseigne, qui s’inclina sans ajouter une parole. Une larme, séchée aussitôt, amortit l’éclair de son regard en passant rapide et presque invisible sur ses yeux ; M. Graffin éprouvait un vrai culte pour son capitaine.

L’Hermite, sans avoir l’air de s’apercevoir de cette scène muette, se mit alors à se promener sur la dunette. L’irrégularité de son pas saccadé montrait, quoique son visage ne décelât qu’une complète impression d’indifférence, l’émotion intérieure qui l’agitait. Enfin, s’adressant à ses officiers, qui, silencieux et immobiles, semblaient désespérés et se tenaient à l’écart :

— Hélas ! messieurs, leur dit-il, je conçois votre désappointement, et je ne puis vous en vouloir. Monsieur Graffin, je reconnais que votre question, déplacée au point de vue de la discipline, était un cri du cœur, et je vous excuse. Vous êtes, Graffin, plein de sève et d’avenir. Jamais officier n’a été plus brillant et plus intrépide que vous ; mais permettez-moi, en considération de mon expérience et de mon âge, de vous donner un conseil. L’homme de guerre, quel qu’il soit, qui ne sait pas se vaincre lui-même, ne saura jamais vaincre l’ennemi. Retenez bien ceci. Cette vérité, qui peut vous sembler banale, est tout bonnement le secret des grands hommes : c’est à elle qu’ils doivent d’être devenus ce qu’ils sont ! Quant à moi, messieurs, eh ! mon Dieu, je sais bien que mon devoir, mon devoir apparent, au moins, serait de poursuivre l’ennemi.