Page:Garneray - Voyages (Lebègue 1851).djvu/139

Cette page n’a pas encore été corrigée

— Ah ! messieurs, dit-il enfin en s’adressant de nouveau à ses officiers, quelle terrible responsabilité que celle qui pèse sur un commandant de navire ! Si j’eusse obéi à mes instructions en combattant sous voiles, la Preneuse n’appartiendrait plus à la France et nous serions en ce moment au pouvoir de l’Anglais !… Oui, mais vous me direz que notre audace nous a sauvés… C’est vrai… Seulement, je vous avoue qu’en songeant au blâme qui m’eût accueilli si nous eussions échoué, et cela n’était que trop possible, je suis encore tout effrayé de mon bonheur !… Enfin, grâce à votre intelligent et intrépide concours, grâce à celui de l’équipage, nous sommes vainqueurs…

La chasse continuait toujours, et malheureusement la distance qui séparait les deux navires s’agrandissait de plus en plus, lorsqu’un des boulets lancés en retraite par le Jupiter vint froisser un de nos mâts.

L’Hermite, qui depuis quelques instants était resté plongé dans de sombres réflexions, appela aussitôt son lieutenant en pied.

— Monsieur Dalbarade, lui dit-il d’une voix légèrement émue, faites cesser le feu, nous allons retourner continuer notre croisière.

Cet ordre, auquel personne ne s’attendait, produisit une immense impression sur l’équipage ; un grand silence se fit, qui dura jusqu’à ce que M. Fabre, visiblement affecté lui-même, fit servir pour regagner le point d’où le Jupiter nous avait forcés de nous éloigner : alors une rumeur désapprobatrice, ainsi qu’une traînée de poudre qui s’enflamme, courut d’un bout à l’autre de la frégate.

— Capitaine, est-il donc possible que nous renoncions à poursuivre l’ennemi ? s’écria M. Graffin en se faisant involontairement, emporté par sa fougue naturelle, l’écho du désappointement général causé par cet ordre.