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était magnifique à voir ; et la preuve de cela c’est que si, au lieu de commander la Preneuse, vous eussiez été à bord du Jupiter, le Jupiter, au lieu d’être en fuite, serait occupé à présent à amariner la Preneuse. Capitaine, je regrette, pour cet instant, que vous soyez mon supérieur, mais, ma foi, tant pis, tout le monde sait que l’enseigne Graffin n’est ni un courtisan ni un flatteur : eh bien ! vous vous êtes conduit comme un héros ! N’est-ce pas, messieurs ?

Les officiers que M. Graffin interrogeait appuyèrent l’opinion de l’enseigne avec une chaleur pleine d’enthousiasme. L’Hermite, dont la modestie égalait le génie et l’intrépidité, embarrassé de cette espèce d’apothéose, ne savait quelle contenance tenir, et regardait d’un air de reproche l’enseigne Graffin, en admiration devant lui. Cette petite scène intime me parut après les horreurs d’un combat, d’un effet saisissant.

— Je vous remercie, leur répondit enfin l’Hermite, de la confiance que vous avez en moi, car cette confiance m’est précieuse sous tous les rapports. Quant à ma conduite d’aujourd’hui, vous en exagérez infiniment trop le mérite. Ce que j’ai fait, tout autre capitaine, surtout en pouvant s’appuyer sur un corps d’officiers semblable au mien, l’eût fait comme moi. Nous avons été heureux, voilà tout. Mais, hélas ! ajouta-t-il en jetant un triste coup d’œil sur le pont inondé de sang, que des matelots étaient occupés à laver, combien nous payons cher notre gloire stérile ! Ah ! si du moins la capture du Jupiter dédommageait la France de ce sang versé !

L’Hermite se tut alors, et baissant la tête il resta pendant quelques instants plongé dans de tristes et douloureuses pensées qui se reflétaient, comme dans un miroir, sur son noble et franc visage.