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un autre moyen de salut, avant un quart d’heure d’ici le Jupiter coulera en ne laissant sur les flots, comme seuls souvenirs de sa grandeur et de sa force passée, que quelques débris humains et sanglants… Qu’on prépare nos canots pour les sauver.

Pendant dix minutes, les Anglais s’obstinent à leur œuvre impossible : encore quelques secondes, et la prophétie de notre capitaine va être accomplie !

Tout à coup l’Hermite pâlit, et poussant une espèce de rugissement, lui d’ordinaire si calme et si impassible, frappe avec fureur de son pied son banc de quart, et s’écrie les yeux fixés sur le Jupiter :

— Mais, il laisse arriver ! il éventre son grand hunier et oriente sous toutes les voiles possibles au plus près ! Orientez aussi les nôtres, enfants… Et voyons si, désireux de venger ses désastres, il nous permettra d’achever notre victoire en acceptant l’abordage…

L’équipage, qui en ce moment abandonnerait volontiers toutes ses parts futures de prise pour en venir aux mains, car il a soif de carnage, exécute cette manœuvre avec une rapidité et une précision qui tiennent du prodige.

Le Jupiter, après avoir pris un peu d’air sous cette allure et nous avoir dépassés sur l’avant de quelques centaines de toises, loin de se prêter à une rencontre qui dépend de lui seul, envoie vent devant armure sur tribord pour mettre sa brèche hors des atteintes de la vague et de notre artillerie… et prend la fuite devant nous…

De son côté la frégate victorieuse prend les mêmes amures, bouline au plus vite les lambeaux de ses voiles et poursuit, sous une risée, hélas ! de plus en plus mollissante, l’ennemi, qui se sauve en tirant sur nous, en retraite.

— Efforts inutiles ! s’écrie l’Hermite d’un ton désespéré ; car cet homme, que l’attente d’une catastrophe terrible et presque inévitable a trouvé impassible et froid, ne peut