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Les Anglais se sont enfin aperçus qu’une submersion presque immédiate les menace. Quelques minutes d’inertie ou de faiblesse de leur part, et c’en est fait ; tous ils devront périr. Bientôt nous apercevons, à travers les lueurs et la fumée du canon, des matelots du Jupiter qui, escaladant ses bastingages, se précipitent sur son flanc mutilé, mais toujours tonnant, afin d’essayer de réparer la mortelle avarie que nous avons faite. Ces malheureux, s’affalant en dehors par des cordages, essayent de clouer des planches, d’enfoncer à coups de masse des tampons, des matelas, des monceaux d’étoupe ! Mais, hélas ! chacun de ces hardis travailleurs doit subir une mort affreuse. Les uns broyés, littéralement parlant, par nos boulets, couvrent de hideux et sanglants débris la muraille du Jupiter. Les autres, blessés mortellement, tombent et disparaissent subitement dans le nuage d’écume que soulèvent nos boulets. D’autres, plus malheureux, enfin, atteints aussi par notre feu, sont parvenus à saisir un cordage, et traînés pendants et mutilés le long du sillage du Jupiter, qu’ils empourprent de leur sang, poussent des cris déchirants de détresse et appellent à leur secours ! Leurs cris aigus tranchent sur le bruit sonore du canon et parviennent jusqu’à nous, mais nous y restons insensibles ! Bien plus encore, nous dirigeons spécialement notre feu sur eux et sur ceux qui essaient de les sauver. À chaque coup de mousquet une bouche se tait, un cadavre tombe. Il faut que ces hommes meurent ; car leur dévouement pourrait sauver le Jupiter, et le Jupiter, l’Hermite le veut, doit périr !

Notre commandant, spectateur attentif et impassible de cette scène de carnage, s’adresse de nouveau à ses officiers :

— Jamais, messieurs, leur dit-il, les Anglais ne parviendront à étancher cette brèche sans changer d’armures… Cela est humainement impossible… S’ils n’avisent