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sur bâbord, laisse arriver ensuite, et profitant de l’état d’immobilité dans lequel notre terrible canonnade a réduit le Jupiter en le désemparant de ses huniers, lui lâche une seconde volée en poupe qui réussit presque aussi bien que la première.

Les avaries du vaisseau anglais, quoique considérables, sont bientôt réparées. La Preneuse, maîtrisée par l’infériorité de son sillage, qui l’empêche de bien manœuvrer, doit renoncer à l’espoir d’envoyer à l’ennemi d’autres volées d’enfilade. Elle vient donc lui présenter bravement son flanc de bâbord.

Les Anglais, exaspérés par leurs désastres, et nos matelots enflammés d’enthousiasme, ne sont plus des hommes. Le feu recommence avec une violence effrénée. Les bordées éclatent avec la vivacité d’une fusillade… On ne voit plus rien… on n’entend plus !… Partout de la fumée et de la flamme. L’ivresse est revenue !… Bientôt les batteries sont inondées de sang ! Les cadavres des gabiers, frappés de mort à leur poste de combat, tombent avec un son mat et lourd sur le tillac : personne n’y fait attention. Quelques matelots blessés, épuisés de fatigue, sont cramponnés aux cordages et implorent des secours. Vaines prières ! Est-ce qu’on a le temps de s’occuper d’eux ? On se bat, et les pauvres diables, ouvrant enfin leurs mains crispées par un dernier effort, tombent et disparaissent au fond de la mer ! Nos voiles se déchirent ; nos vergues, nos mâts volent en éclats : qu’importe ! on se bat !

L’Hermite, le seul homme probablement à bord de la frégate qui n’ait rien perdu de son sang-froid, est toujours droit et immobile sur son banc de quart. Il me semble, en passant près de lui, que je vois le dieu des batailles. De temps en temps sa voix nette et vibrante se mêle au