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Soit que le vaisseau anglais comptât sur sa marche supérieure, soit que, pour ne pas s’exposer à des avaries, il fût déterminé à ne pas augmenter sa voilure tant qu’il nous tiendrait en vue, toujours est-il qu’il se laissait tellement gagner de vitesse par la Preneuse, que l’équipage commençait déjà à concevoir l’espoir de lui échapper. La bourrasque s’était un peu calmée.

Le capitaine, entouré de ses officiers, s’entretenait avec eux de notre position. Si par instant il s’associait à leur espérance, c’était avec un tel accent de doute, que son approbation équivalait presque à une négation formelle.

— Au surplus, messieurs, leur dit-il enfin, mes instructions s’opposent formellement à ce que j’attaque à forces inférieures !… me le permettraient-elles, que j’hésiterais peut-être en ce moment… Oui, j’hésiterais… car ce vaisseau se trouve près de son port, tandis que plusieurs centaines de lieues nous séparent de l’île de France… Oui, mais fuir une seconde fois, fuir toujours dans cette croisière… C’est affreux ! Ah ! s’écria-t-il après un léger silence et en écartant par un geste de tête saccadé et nerveux les boucles de sa chevelure blonde que le vent ramenait sans cesse devant ses yeux, je sens que si j’avais ma liberté d’action, mon amour-propre blessé de Français et de marin me ferait oublier toute prudence… Oh ! pour deux heures de combat je donnerais dix ans de ma vie…

L’Hermite, après avoir prononcé ces paroles avec une ardeur concentrée, tira de sa poche un papier plié qu’il avait paru chercher avec impatience et inquiétude ; il le lut à la lumière de l’habitacle, et le resserra ensuite soigneusement :

— Capitaine, dit le lieutenant Rivière en abaissant sa longue-vue, je n’aperçois plus l’anglais.