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Après tout, qui sait ? Peut-être bien ta brusque entrée dans le monde, les privations que tu auras à subir, tes longs voyages, contribueront-ils à la réussite de ton avenir. Avoir beaucoup vu et beaucoup souffert sont deux choses excellentes pour les hommes d’énergie et d’intelligence, elles développent à la fois en eux l’esprit et le cœur. Et puis, faut-il te l’avouer, j’espère qu’une fois ton imagination refroidie par le rude contact de la réalité, dans quelques mois d’ici, peut-être, tu reviendras, guéri de tes folles idées, me redemander tes crayons.

Hélas ! mon pauvre père ne se doutait guère alors que mon premier atelier de peinture serait un ponton anglais, et que, marin aventureux et vagabond, je devais, avant de prendre le pinceau qu’il désirait voir dans mes mains, sillonner pendant vingt ans toutes les mers du globe.

La patache de Chartres nous ayant atteints au bout de l’allée des Veuves, j’embrassai mon père une dernière fois ; puis, refoulant, par un suprême effort de volonté, les larmes qui montaient à mes paupières, je m’élançai en deux bonds sur le siège du cocher.

À peine à Rochefort, mon premier soin fut de me rendre chez mon cousin : il commandait alors la frégate la Forte. Je le trouvai en compagnie de plusieurs capitaines et officiers de marine, au moment de se mettre à table pour dîner.

— Bravo, mon cher Louis, s’écria-t-il en m’embrassant, voilà ce qui s’appelle tenir sa parole : je ne puis trop te louer de ta résolution. Assieds-toi auprès de moi, et grise-toi de ton mieux. C’est le seul moyen passable que je connaisse pour s’étourdir un peu sur l’ennui que cause à tout homme intelligent un séjour à terre.

Cet accueil du capitaine Beaulieu produisit un assez vif étonnement parmi ses convives, car avec l’affreux