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il était dit que rien ne nous réussirait dans cette fatale croisière. La brise, ce qui était contre toutes les probabilités, au lieu de s’éteindre par degré dans le calme, passa tout à coup et violemment de l’O. au S.

À peine le jour paraissait-il à l’horizon, qu’une énorme masse de nuages de couleur ardoisée, frangée de pourpre et paraissant solide comme une chaîne de montagnes rocheuses, s’interposant entre le soleil et nous, nous rendit presque les ténèbres de la nuit. Bientôt la mer, devenue furieuse, éleva en bouillonnant ses montagnes mobiles couvertes d’écume, et la tempête commença.

J’ai bien souvent assisté aux catastrophes et aux révolutions de la nature, mais jamais je n’ai vu un ouragan plus violent que celui-là. Un moment la frégate fut engagée ; nous nous crûmes perdus.

Heureusement qu’au milieu de cette épouvantable position, la voix calme et grave de l’Hermite s’éleva, dominant le bruit des flots, et nous rappela tous au sentiment du devoir.

— Du courage et du silence, mes enfants, nous dit-il, la barre du gouvernail ayant été mise de bonne heure au vent, rien n’est encore désespéré !

En effet la frégate, après avoir été plusieurs fois alternativement lancée du haut du sommet des vagues jusque dans les dernières profondeurs de leurs abîmes, reprit enfin son équilibre et recouvra son sillage. Nous avions tous été aussi près que possible de notre dernière heure. Toutefois rien ne nous assurait que cette catastrophe affreuse