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mais bientôt, hélas ! le doute ne fut plus possible. Le brûlot avançait à vue d’œil, et on distinguait, à travers la fumée produite par nos canons, qui tiraient toujours avec la même énergie, la flamme qui déjà s’élançait rouge et ardente à travers les écoutilles du navire incendiaire.

Un quart d’heure lui suffisait pour nous accrocher. L’Hermite, renonçant alors à tromper plus longtemps l’équipage, prit cette voix de commandement qui retentissait claire, calme et vibrante à travers le bruit du canon, et à laquelle il était difficile de ne pas obéir :

— Range aux drisses des huniers et aux écoutes ! dit-il. Allons donc, gabiers, dormez-vous, ou avez-vous peur ?

Hélas ! ces pauvres gabiers, suffoqués à leurs postes, avaient mille peines à communiquer entre eux. Pourtant le chef de la hune de misaine annonça bientôt que tout était prêt de ce côté.

— Eh bien ! gabiers de la grande hune, reprend l’Hermite en les hélant avec une impatience qu’il n’est pas maître de cacher, on n’attend plus que vous…

— Tout de suite, capitaine ! répondent les malheureux à moitié asphyxiés.

— Au fait, rien ne presse ! dit l’Hermite qui, sachant que tous les yeux de l’équipage sont tournés vers lui, se met à se promener tranquillement, les mains derrière le dos, de long en large sur le pont. La direction donnée à ce brûlot est mauvaise… Il passera, cela est évident, assez loin de notre bord pour ne pas nous accrocher…

Notre capitaine pouvait certes commander l’appareillage quel que fût l’état du gréement ; mais cette fuite honteuse qui dévoilait notre détresse à l’ennemi froissait péniblement le noble amour-propre de l’Hermite.