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gnant une force d’âme peu commune à un courage brillant et chevaleresque s’il en fut, conservait toujours, au milieu des plus grands dangers, l’aimable gaieté de son caractère égal et enjoué.

La superstition est une chose commune à tous les grands hommes qui, comprenant la faillibilité de l’esprit humain, se jettent parfois, dans des heures de découragement ou de doute, dans les bras du hasard ; personne plus que le marin n’est au reste sujet à cette mystérieuse influence. Je remarquai donc, et je ne crois pas m’être trompé, que le retour de l’enseigne Graffin rendit à l’Hermite la confiance qu’il affectait, par une noble ruse, devant les autres, mais qui probablement n’était pas dans son cœur.

L’Hermite, l’air presque radieux, passait, en se promenant sur la dunette, près de moi, lorsque je le vis tout à coup pâlir affreusement, porter la main sur son cœur et s’appuyer contre les bastingages : un frisson me glissa le long du corps et je pressentis qu’un affreux malheur nous menaçait, car je connaissais assez l’Hermite pour savoir qu’un danger personnel, quelque terrible qu’il pût être, était incapable de lui causer la moindre émotion. Hélas ! je n’avais deviné que trop juste ; je ne me trompais pas.


XI

L’émotion éprouvée par l’Hermite ne fut pas de longue durée ; il possédait une âme trop fortement trempée pour ne savoir pas se vaincre lui-même :