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J’avais à peine treize ans et demi lorsque je lui déclarai ma résolution de m’embarquer en qualité de marin, et je mis une telle ténacité dans mes instances que je finis enfin par obtenir ou, pour être plus exact, par lui arracher son consentement. Je dois avouer que ma fermeté, dans cette circonstance, fut énergiquement soutenue et stimulée par les conseils et les encouragements que je recevais, presque chaque matin, par la poste, d’un de mes parents, M. Beaulieu-Leloup, capitaine de frégate, qui se trouvait alors à Rochefort.

Mon cousin Beaulieu-Leloup, marin de corps et d’âme, éprouvait un profond sentiment de commisération pour les habitants des villes. Le bonheur sur la terre ferme lui semblait un paradoxe insoutenable : il ne comprenait la vie que sur un pont de navire ; et il n’admettait les relâches dans un port ou à la côte que comme une de ces contrariétés et l’un de ces ennuis inhérents à l’existence humaine, que l’on doit subir avec résignation puisqu’ils sont inévitables.

Le jour fixé pour mon départ de la maison paternelle arrivé — et quoique bien des années me séparent de ce souvenir, je me le rappelle encore comme s’il ne datait que d’hier —, je me revêtis, afin de mieux m’affermir encore dans ma résolution, d’un costume complet de matelot que l’on m’avait donné au ministère de la marine.

— Mon cher Louis, me dit mon père, qui, afin de rester plus longtemps avec moi, avait pris un fiacre et m’accompagnait en attendant que la voiture de Chartres nous rejoignît, n’oublie point, si ta nouvelle carrière ne répond pas à tes rêves et à tes espérances, que tu trouveras toujours ta place vacante et gardée dans mon atelier. Je te vois t’éloigner avec d’autant plus de douleur, que tes rapides progrès dans le dessin dépassaient mon attente.