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HISTOIRE DU CANADA.

leur conduite la force relative des deux parties, et non l’esprit de la constitution. Ils voyaient la métropole personnifiée en eux, et se persuadaient que toutes les oppositions qu’éprouvaient leur volonté, étaient des oppositions malveillantes et factieuses dirigées contre la suprématie anglaise. Ce moyen de réfuter les erreurs que leur partialité ou leur ignorance leur faisait commettre, avait bien l’avantage de mettre leur responsabilité, leur discrétion, leurs talens à l’abri, mais il transportait la querelle sur un terrain dangereux pour l’avenir ; sur le terrain de l’alliance entre la colonie et la métropole, de la rébellion et de l’indépendance.

En prenant les rênes du pouvoir, sir George Prevost travailla à calmer les esprits et à faire oublier les animosités que les démêlés violens avec son prédécesseur avaient pu laisser dans les cœurs. Il montra la plus grande confiance dans la fidélité des Canadiens qu’on ne cessait point de traiter de rebelles ; il s’étudia à prouver en toute occasion que ces accusations n’avaient laissé aucune impression dans l’esprit de l’Angleterre ni dans le sien. Il nomma le prisonnier de sir James Craig, M. Bedard, juge des Trois-Rivières ; il fit M. Bourdages, adversaire non moins ardent de cette administration, colonel de milice, et l’expérience démontra deux choses ; que cette conduite était prudente et sage, et que le mensonge, la calomnie, la persécution n’avaient point affaibli le sentiment de la fidélité dans l’âme de ces deux patriotes.

Bientôt la plus grande sympathie s’établit entre lui et le peuple. Le choix du roi avait été dicté sans doute par la situation dans laquelle se trouvaient ses rapports avec les États-Unis  ; car on doit remarquer que la guerre réelle ou imminente avec la république voisine a toujours assuré aux Canadiens des gouverneurs populaires, et qu’au contraire la paix au dehors a été généralement le temps des troubles au dedans. En temps de danger extérieur, toute agression contre les droits des Canadiens cessait ; le danger passé, la voix de l’Angleterre se taisait et aussitôt la consanguinité de race assurait sa sympathie à ceux qui voulaient leur anéantissement national, et en attendant leur asservissement politique. Mais « un grand peuple, dit Thierry,[1] ne se subjugue pas aussi promptement que sembleraient le faire croire les actes officiels de ceux qui le gouvernent par le droit de la force. La

  1. Histoire de la conquête d’Angleterre.