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des manières, la tranquillité et la courtoisie parfaite de l’expression, avec la franchise absolue et l’assurance implacable[1].

Cet homme doux et poli exerce sur ses armées une autorité dictatoriale. Jamais chef populaire, idolâtré par la foule, n’a parlé d’elle avec plus de mépris. Il est telle de ses phrases que n’eût pas désavouée le Coriolan de Shakespeare :

« Je suis écœuré de l’adoration de la multitude. Je serais plus sûr d’avoir raison, si elle crachait sur moi[2]… Mieux vaut être qualifié d’autocrate que d’avoir l’air de se laisser influencer par la multitude afin qu’elle vous approuve… Il ne suffit pas de protester contre l’opinion générale. Il est nécessaire que, dans les grandes questions, les chefs agissent en sens inverse de l’opinion de la masse, si cette opinion ne se recommande pas à leur raison »[3].

Mais ce dédain héroïque recouvre plus d’amour vrai du peuple que les flatteries intéressées des démagogues. Gandhi croit qu’une volonté haute peut transformer un peuple, en ne craignant pas d’exiger de lui les plus durs sacrifices[4] ; et il lui impose une vigoureuse discipline morale, — cette discipline dont le relâchement fait la mortelle faiblesse des armées révolutionnaires d’aujourd’hui, et qui a fait la force de celles du passé. Les troupes de Cromwell ont entendu des ordres du jour semblables à ceux du Mahâtmâ, enjoignant « la nécessité de l’humilité », de la propreté physique et morale, le respect de la femme, interdisant la boisson,

  1. Voir surtout l’Ethique de la Destruction (1 septembre 1921).
  2. 2 mars 1922.
  3. 4 juillet 1920.
  4. p. 127.