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LE DOCTEUR OMÉGA

monde d’incidents pour s’occuper ou s’amuser, et ce qui paraîtrait monotone aux uns abonde pour d’autres en excitations vives, en plaisirs ineffables.

Tout ce qui était activité bruyante et désordonnée affligeait mon oreille par ses discordances et me procurait même une sensation douloureuse.

J’aurais voulu qu’il n’y eût autour de moi d’autre bruit que celui de mon violon.

Car, j’oubliais de le dire, une chose… une seule, me rattachait encore au monde civilisé : la passion de la musique.

J’avais acheté le Stradivarius d’un grand virtuose mort subitement en exécutant un concerto de Spohr et j’avais eu la chance d’obtenir cet instrument presque pour rien : quarante-cinq mille francs.

Cela fera, je le sais, sourire tous ceux qui ont la musique en horreur.

Mettre quarante-cinq mille francs à un violon quand, pour le même prix, on peut se payer une superbe automobile de cinquante chevaux !… C’est de la folie !

Possible, mais chacun son goût.

J’aime mieux exécuter sur un Stradivarius les œuvres de nos vieux maîtres que de brûler les routes à cent à l’heure.

Je passais donc mon temps à promener sur les cordes de mon instrument un superbe archet en bois de Pernambouc dont la monture à elle seule était une petite merveille.

Aussitôt levé je m’installais devant mon pupitre, et travaillais avec ardeur les plus arides concertos de Paganini, d’Alard et de Vieuxtemps.

On ne pourra pas dire que je jouais dans le but d’émerveiller mes contemporains.

J’étais tout simplement un violoniste solitaire, pénétré de son art, un exécutant passionné, infatigable et modeste.