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LE DOCTEUR OMÉGA

De temps à autre, je recevais la visite d’un vieil ami, membre de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, qui avait été autrefois mon collaborateur et avec lequel j’avais obtenu quelques succès de librairie.

Eh bien ! l’avouerai-je ?… quand cet ami sonnait à ma grille et que j’apercevais dans l’allée sa longue silhouette d’échassier, je ne pouvais réprimer un mouvement de mauvaise humeur.

Je m’efforçais cependant de le bien recevoir (on ne devient pas un sauvage du jour au lendemain) mais, quand j’avais subi sa présence une journée entière, je commençais à manifester de l’impatience… Le deuxième jour de son arrivée je ne l’écoutais déjà plus, et, pendant qu’il se lançait dans de longues dissertations sur la récente découverte d’un « palimpseste » du moyen âge, distraitement, je jouais en sourdine quelque adagio de Beethoven.

Cet ami trouva sans doute que j’étais, avec mon violon, aussi ennuyeux que M. Ingres, car il ne revint plus.

Cependant, à force de lire sans cesse des doubles croches et des triples croches, mes yeux se fatiguaient parfois ; mes doigts, par suite d’un surmenage excessif, devenaient raides et malhabiles.

Alors, je serrais soigneusement mon violon dans un étui en palissandre, véritable chef-d’œuvre de la fin du dix-septième siècle, et j’allais m’asseoir sur une petite terrasse située à l’extrémité de mon parc, en bordure de la route.

Là, tout en rêvant sonates, ariettes ou cantilènes, je laissais errer mon regard sur le paysage qui s’étendait devant moi.

À perte de vue, c’étaient des bois touffus parmi lesquels pointaient çà et là les toits d’ardoise de clochers uniformes… À mes pieds, c’est-à-dire au bas de la terrasse, quelques maisons s’alignaient le long d’une rue à peine car-