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hallucination, enveloppent mon âme et me grisent, comme l’apparition au tournant du chemin de la maison familiale, après la longue absence.

Pourquoi ?

Demande au Silence… demande à la Forêt, dont l’âme frémissante et parfumée connaît le secret du cœur de l’homme.

Demande au Fleuve… lui seul connaît les terres mystérieuses où l’homme n’est jamais allé… il est la route de la vie, l’artère qui contient le sang chaud de la jungle.

Des papillons bleus, aux ailes d’oiseaux, palpitent dans le crépuscule.

Derrière la cloison en bardeaux, Pierre Deschamps râle lamentablement.

— Interroge le Fleuve et les arbres éternels…

La brume floconneuse du soir monte en spirales de la rivière. Les feuilles de bananiers, larges et creuses, emmitouflées d’ouate blanche, ressemblent à des berceaux recouverts de dentelle.

Comme une lente marée de neige, la brume gagne peu à peu l’immense dépression de la vallée.

Assis au pied du boucan où gémit Pierre Deschamps, j’attends que le jour se lève, le jour qui portera la lumière aux arbres immobiles, au vieillard aveugle, au fleuve et au mineur blessé qui ne sait pas encore…