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JE SAIS TOUT

l’école lorsque sa mère était morte : maintenant c’était un jeune homme, il devait avoir vingt-deux ans au moins. Et Caleb, son tuteur, était seul gardien de la petite fortune que sa mère lui avait laissée.

Caleb se leva en proie à ses pensées. Il remit le paquet dans le meuble qu’il referma et revint devant le feu.

— Je me suis occupé du garçon, dit-il, il n’a jamais manqué de rien, jamais. Quelle somme était-ce ? J’oublie… j’oublie… Elle avait tout placé entre mes mains et il fallait que je paie ceci, cela. Fallait-il que je le lui donne ?… Bah ! j’ai fait un meilleur usage de cet argent, je sais toujours en faire un meilleur usage que n’importe qui. Ce jeune animal l’aurait gaspillé, dépensé en sottises. Je le lui donnerai un jour tout d’un coup et il m’en sera reconnaissant. Je l’ai tenu serré, après tout, ça ne lui aura pas fait de mal. Il m’en remerciera un jour. D’ailleurs, qui le saura ? Il n’y avait rien d’écrit, rien entre nous que des désirs de femme chuchotés à mon oreille.

Il eut encore un sursaut et regarda inquiet autour de lui.

— Je… je suis nerveux ce soir. Cette chambre est pleine de fantômes. Bah allons dormir.


CHAPITRE II

où il est question d’une fée radieuse et d’un thé interrompu.


Dans un des petits Inns du Temple, au fond d’une petite cour écartée et enfermée dans une pièce qui prenait l’air par une haute fenêtre, presque une tabatière, M. Donald Brett était sensé se livrer à un travail acharné. De nombreux dessins, en des états d’achèvement variés, étaient suspendus au mur et d’autres recouvraient une table placée au milieu de la chambre. Cependant, M. Donald Brett ne travaillait pas. Irrésolu, il s’arrêtait de temps en temps devant son chevalet. Mais sa principale préoccupation semblait plutôt de regarder l’heure à sa montre, en la comparant avec celle d’une petite horloge qui faisait entendre son tic-tac sur la cheminée, puis d’ouvrir la porte de sa chambre et de se pencher le cou en avant sur la rampe de son escalier.

C’était un jeune Anglais bien bâti, la tête remplie de rêves qu’il ne définissait pas encore, doué de sentiments chevaleresques et d’une puissance d’admiration qui risquait de lui causer des désagréments dans ses affaires d’argent et de cœur, mais qui lui donnait la plus séduisante allure.

On entendit, enfin, dans l’escalier un pas rapide et le bruissement d’une jupe. Il ouvrit la porte toute grande et rentra dans la pièce en se redressant d’un air assez raide, les yeux fixés droit devant lui, ce qu’il faisait quand il se sentait troublé.

Une rapide rougeur de sa face annonça l’arrivée de sa visiteuse, plus encore que le petit coup hésitant qu’elle frappa sur le panneau de la porte ouverte.

— Puis-je entrer ? Êtes-vous très occupé ? Je vous en prie, renvoyez-moi si je vous dérange, je sais que vous devez travailler dur.

Elle était dans la chambre et, le visage couvert de rougeur, il lui tenait la main et il la regardait dans les yeux. Il avait naturellement arrangé d’avance ce qu’il lui dirait sur son retard, sur le temps et autres choses également divertissantes. Il avait même répété la façon dont il lui prendrait la main, l’amènerait sur le sofa, s’assoirait auprès d’elle et lui parlerait avec aisance et naturel ; il y avait même d’avance disposé les coussins de la manière la plus heureuse et du plus artistique effet.

Mais il était incapable de rien exécuter de ce plan, fût-ce au prix de sa vie. Elle était si jolie, si fragile et ses yeux brillaient d’une lueur si merveilleuse