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JE SAIS TOUT

en possession de votre argent, ou bien, si vous préférez attendre à demain…

— Non, non, tout de suite, tout de suite.

— Venez, dit l’avoué. Ça ne nous prendra pas un quart d’heure.

— Ça vous est égal que je vous laisse seule un moment, dites, chère Ella ? demanda Donald à la jeune femme.

Il se retourna vers l’avoué.

— Pensez-vous, qu’ils me laisseront toucher une ou deux livres ?

— Mais, tout ce que vous voudrez, jusqu’au dernier sou, dit l’avoué en riant.

Donald s’élança vers la porte, puis revint pour embrasser Ella et l’assurer qu’il resterait dehors le moins longtemps possible. Il battait des entrechats, donnait de grands coups dans le dos de l’avoué, au risque de lui faire dégringoler l’escalier. Et, tout en descendant, il hurlait à sa femme des phrases incohérentes.

Elle rentra dans sa chambre, après leur départ et, se laissant tomber sur un siège, elle fondit en larmes.

Elle pleura doucement d’heureuses larmes. Le monde entier leur souriait et ils n’avaient plus rien à craindre.

Bientôt, Donald arrivait en courant, les poches pleines d’or pour le jeter aux pieds de sa petite reine, sans le sourire de laquelle l’or ne lui aurait servi de rien. Il la tint dans ses bras et essuya ses dernières larmes.

Enfin, elle exprima avec une douceur sérieuse ce qu’elle avait dans le cœur :

— Cher Donald, mon Donald, il ne faut pas que cet argent vous rende insouciant et nous apprenne à devenir fiers, durs et ingrats. Nous ne devons pas oublier notre vieux bonheur. Et il faut que vous travailliez tout de même Donald, pour devenir fameux. Il faut que je sois fière de vous, mon cher mari. Si jamais quelqu’un vient à nous, fatigué et abandonné, comme le pauvre Taterley, nous lui tendrons les mains. Et nous ne serons jamais vieux, décrépits et nous ne cesserons jamais de nous aimer, si nous nous souvenons de tout cela.

— Savez-vous ce que je vais faire de vous, demain, ma chérie ?

Elle secoua joyeusement la tête ; les projets qu’ils faisaient devaient être les bienvenus, quels qu’ils fussent.

— Je vais vous mener là, où nous avons passé notre lune de miel, Ella, et nous resterons dans ce gentil vieux cottage ; nous rêverons les mêmes rêves et nous nous promènerons dans la campagne. Cela vous plaira-t-il, ma chérie ?

— Je vous en prie, dit-elle tout bas en prenant sa main et en la pressant. Puis elle ajouta bientôt : Vous souvenez-vous quand le pauvre Taterley est venu à pied et qu’il s’en est retourné de même, rien que pour nous voir un instant ?

— Oui, dit-il soudain attristé. Comme il serait heureux de savoir ce qui nous est arrivé !

Ils partirent le lendemain matin pour leur voyage, un peu silencieux et rêveurs, en pensant à la vieille silhouette misérable, au chapeau agité, à la main qui leur avait souhaité bonne chance à leur dernier départ.

Ils ne savaient pas que, pendant toute la nuit précédente, Caleb Fry, comme un fantôme, avait erré dans le voisinage de l’atelier. Quel désir fou avait-il de les voir ! Combien le sentiment de sa solitude lui pesait !

Car, après le succès qui avait couronné ses combinaisons, sa force d’âme s’était évanouie. Il n’avait plus besoin de penser, de chercher, de combattre. Toute sa vigueur et son audace l’avaient abandonné.

Dans cet état de faiblesse, il fit un effort pour regarder en arrière et essaya de se rappeler les jours où Taterley avait été son humble serviteur, il tenta de remonter le cours des événements écoulés et de bien se rendre compte de quelle manière il était arrivé à se trouver seul, dénué de tout et sous un autre nom.

Toutes ses pensées se résolvaient en une seule impression bien nette, un seul