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JE SAIS TOUT

— Pourquoi les lui rendre ? se dit-il. Si l’on me met en prison, qu’est-ce que ça fait ? Je me moquerai de lui devant la Cour. Ah ! mais on pourrait savoir, retrouver la trace des billets. Dieu ! on les volerait encore et on les punirait peut-être de ce que j’ai fait. Non, ça ne se peut pas. C’est dur de lui rendre cet argent et de ne pas lui infliger le châtiment de cette perte. Et, cependant, il le faut.

Il alla donc chez un papetier, fit emplette d’une grosse enveloppe et d’une feuille de papier. Il avait encore quelques pences en poche.

Dans une boutique de thé, il se fit servir un peu de café et là, seul, dans un coin retiré, il griffonna un billet.

« J’ai pris votre argent pendant que vous étiez ivre, je vous le renvoie, non pas parce que j’ai peur de vous. J’ai éprouvé une tentation soudaine. Vous avez jeté cet argent devant moi, mais je ne veux pas vous voler. D’ailleurs, au train où vous allez, cette somme ne durera pas longtemps. J’espère que vous trouverez la route de l’enfer rapidement, c’est, mon plus vif désir.

« Taterley. »

Caleb Fry, en ricanant, plia les billets dans une feuille de papier, mit le tout sous enveloppe et écrivit dessus :

« M. Hector Krudar, Esquire. »

Mais même encore il hésita. Un peu du vieil homme lui revenait.

Rendre cela sans lutte, dit-il, en fronçant les sourcils. Non, ne nous hâtons pas. Rien ne presse, j’y repenserai.

Et il remit l’argent dans sa poche.


CHAPITRE XIV

à propos d’une étrange fortune, d’une fée radieuse et d’une fuite.


Le soleil d’automne remplissait l’atelier ce matin-là, illuminant ses murs sombres ; avec lui un zéphir léger faisait flotter les rideaux des fenêtres et soulevait les papiers sur la table et les billets collés à la glace. Il faisait aussi flotter les brillants cheveux blonds autour du visage pâle et émacié d’une jeune femme.

— C’est bon de sentir la brise, Donald, elle vient tout droit de la rivière. C’est la meilleure brise qui puisse souffler à Londres, n’est-ce pas, mon chéri ? Et le soleil a l’air de sourire exprès pour moi ce matin, tout me semble gai autour de moi. C’est sot de dire ça, je ne suis qu’une petite personne de si peu d’importance, mais j’aime à me l’imaginer. Venez près de moi pour causer.

Donald posa ses pinceaux, heureux comme un écolier qui abandonne ses devoirs et, fredonnant, il vint vers les bras qu’elle lui tendait. Elle était assise sur cette étrange caisse, qui servait de divan, dont elle avait été si émerveillée dans un temps qui lui semblait aujourd’hui éloigné.

Donald s’assit à côté d’elle et passa son bras fort autour de sa taille.

— Vous êtes une petite femme si frêle, dit-il, et je suis si maladroit que j’en ai honte. C’est un délice de vous voir de nouveau au milieu des rayons du soleil, Ella. Je ne puis détacher mes yeux de vous, je voudrais tant que nous puissions vous emmener quelque part, loin de ces hautes maisons et…

Ella lui ferma la bouche avec un baiser et lui dit tout bas :

— Ne vous inquiétez pas de ça, je vais me rétablir bien vite, oui, ce serait si agréable d’aller s’installer dans un joli endroit et… Mais je dois devenir assommante. N’en parlons plus. Notre home est gentil.