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TATERLEY
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— Est-ce qu’elle sort beaucoup, demanda-t-il ? en se tournant vers Donald.

— Très peu, répondit celui-ci.

— Ah ! faites-la sortir le plus possible. Elle n’est pas forte, dit-il. Sortez-la. amusez-la, une soirée au théâtre de temps en temps. Mieux encore, menez-la à la campagne, au milieu des fleurs et des oiseaux. Il ne faut pas enfermer ainsi une si jolie petite créature. Et nourrissez-la bien. Du vin, et tout ce qui lui plaira.

— Oui, dit Donald d’une voix sourde, sans presque le regarder.

— Je repasserai, dit le docteur en mettant ses gants, afin de voir comment elle va. Mes remèdes ne lui feront pas grand bien, mais menez-la sous le ciel bleu, elle redeviendra vite gaie et bien portante. Bonjour.

Donald resta pendant un moment dans la même attitude, après le départ du médecin, puis il se tourna vers Caleb d’un geste las.

— L’entendez-vous, Taterley, entendez-vous ce qu’il dit ? L’emmener vers le ciel bleu et lui donner tout ce qu’elle désire. Mon Dieu, si je le pouvais !

Caleb se détourna. Il s’enfonçait les ongles dans ses mains.

Le jeune homme continua :

— J’ai tout essayé… Il me semble, parfois ; que je suis une brute, un lâche de l’avoir épousée.

Il rentra dans la chambre pour voir Ella, mais il en ressortit aussitôt pour dire à Caleb qu’elle le demandait.

Caleb entra à pas légers, le dos courbé. Elle le fit s’asseoir à côté d’elle et lui prit la main.

— Mon Dieu ! que vous avez l’air troublé, mon cher Taterley, dit-elle. Ne vous tourmentez pas, je vais guérir bientôt et je redeviendrai forte. Je suis sans doute une petite sotte, mais quand je pense à mon pauvre Donald qui travaille tant et qui se fait tant de mauvais sang pour moi, oh ! Taterley, il me semble que je vais pleurer.

Elle tourna son visage vers Taterley et ses larmes coulèrent.

Taterley, posant sa main sur la tête d’Ella, fit de son mieux pour apaiser son chagrin. Ella, pressant cette main contre sa joue, y posa ses lèvres.

Enfin, Ella se leva au bout de quelques jours, elle sortit de sa chambre, souriante et pâle, et vint regarder Donald travailler. Mais elle dut venir se recoucher, après avoir avoué à Caleb qu’elle ne se sentait pas encore bien forte ; mais qu’elle espérait se relever de nouveau le lendemain.

Donald et Caleb, sans se l’avouer l’un à l’autre, vivaient de longues journées de pain et de fromage, faisant un grand bruit d’assiette et de fourchette pour la tromper et pouvoir lui acheter ce qu’ordonnait le médecin, instants de bonheur qu’ils eurent durant cette lugubre période furent dûs au succès de cette petite supercherie.

Donald travaillait avec fureur. Il courait à droite et à gauche avec ses tableaux, dans l’espoir d’en tirer quelque argent. Le docteur vit l’impuissance de leurs efforts et perdit patience.

Un jour, Caleb était assis près d’Ella, il lui tenait silencieusement la main :

— Vous me trouvez très bête, sans doute, dit-elle très bas, mais quand je suis couchée là, je pense, je pense, je pense. J’ai le temps de penser, Taterley, et je pense tout le temps à Donald, à mon Donald.

— Il n’y a rien de bête à cela, reprit Taterley.

— Non, mais ce sont des pensées bêtes que j’ai. Je pense, quelquefois, cher Taterley, que je ne me rétablirai jamais et, alors, sa voix trembla. Supposons-le, que deviendrait mon mari s’il était tout seul au monde ?

Elle cacha son visage dans les bras de Taterley et il la sentit trembler des pieds à la tête. Il restait assis, immobile, pâle, effaré, regardant droit devant lui.