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JE SAIS TOUT

tence. Mon vieux logis ne sera pas le même, maintenant qu’elle y sera pour toujours, hein, Taterley ?

Inexprimablement raffermi, reposé au contact de ces êtres heureux, si pleins d’espoir, qui avaient cependant devant eux tout le monde à conquérir, Caleb dormit profondément cette nuit-là, dans une petite chambre sentant bon, dans un lit embaumant la lavande.

Le bref séjour de leur lune de miel expirait, pour Donald et Ella le jour suivant et, comme ils étaient assis à déjeuner, Caleb annonça sa ferme intention de repartir de bonne heure.

— Mais vous n’allez pas refaire tout ce chemin à pied, Taterley, dit Ella.

— Mais si, dit-il en riant, ça ne me semblera pas si long qu’à l’aller.

Il était tout à fait décidé et, dès que le déjeuner fut terminé, il prit son chapeau, prêt à partir.

Ils l’accompagnèrent à travers le village. Ella avait pris son bras et ils l’accompagnèrent jusqu’à la grande route de Londres. C’est là qu’ils le quittèrent. Au bout de quelques pas, il se retourna et ils lui firent des signes amicaux, tendrement enlacés.

C’est avec cette image devant les yeux que Caleb entreprit sa longue étape, dont Londres était le terme.


CHAPITRE X

À propos d’une affaire de ménage, d’un philosophe et d’une jeune fille abandonnée.


La plus importante métamorphose du caractère de Caleb, le vieillard l’avait due à l’influence d’Ella. Toute sa vie, il s’était figuré le monde comme un enfer plein de coupe-gorges, où l’on ne pouvait rien obtenir qu’en payant, il avait cru que tous les plus beaux sentiments dont se vantaient les hommes étaient autant de duperies déguisées et n’ayant qu’un objet, servir aux circonstances.

Mais cette tendre et douce jeune fille était entrée dans sa vie.

Selon cette cynique appréciation de l’humanité aux yeux de Caleb, que la charmante Ella ait pu tolérer auprès d’elle un homme malheureux, qui devait être un fardeau pour ceux auxquels il s’attachait, voilà qui était déjà inouï, mais qu’elle pût lui témoigner une affection véritable, née de la gratitude de son cœur, cela dépassait tout.

Que sa pauvreté et sa dépendance fissent de lui un objet de mépris, il l’aurait bien compris ; mais qu’un être humain pût s’attacher à lui par la plus forte, la plus tendre pitié, à cause de sa misère, cela venait bouleverser son sinistre critérium d’antan.

Une profonde reconnaissance grandissait dans son cœur pour Ella, depuis la mort de Taterley, en même temps, qu’une surprise émue lui venait à sentir dans sa vie une si soudaine et si pure présence.

Il ne pensait qu’à profiter des instants où elle n’était pas là, afin de faire en son absence toutes les petites choses qui pouvaient l’aider ou lui être agréables.

Il semblait à Caleb qu’il ne pourrait jamais étudier suffisamment le merveilleux mystère d’amour, dont le charme remplissait ces deux pièces où ils vivaient et qui transformait leur aspect sordide.

Donald et sa femme travaillaient courageusement, car Ella rapportait un peu d’argent, elle aussi, en peignant des menus et de petits tableaux. Mais ils accomplissaient leur tâche ainsi que de bons enfants sages, en s’amusant, en levant les yeux de temps à autre pour se lancer de petits regards d’encouragement, puis ils se remettaient à leur besogne avec une force nouvelle.