Page:Gallon - Taterley, trad Berton, paru dans Je sais tout, 1919.djvu/32

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
724
JE SAIS TOUT

deux jeunes mariés avaient déjà, en pensée, commencé un voyage triomphal à travers la vie âpre et pénible, mais qu’ils voyaient semée de plaisirs et de joie, en oubliant les plus pressantes nécessités du vivre et du couvert, auxquelles nul ne peut échapper, pas même les jeunes artistes.

C’est ainsi qu’un matin ensoleillé, Donald ne mangea pas de déjeuner, essaya toutes ses pipes, vit qu’elles ne voulaient pas s’allumer, mit ses gants, les ôta, les remit, siffla, se mit à rire et s’assombrit ; et que Caleb brossa ses pauvres vêtements, tâcha de se rendre aussi présentable que les circonstances le permettaient et essaya de regarder en arrière et d’apprécier les événements avec le calme d’un esprit judicieux, jusqu’au moment où, sentant qu’il était emporté dans un véritable tourbillon, il comprit qu’il ne pouvait que se laisser guider par le sort qui l’entraînait tout haletant.

Puis Ella, rougissante, radieuse et tremblante, entra. Les idées pratiques s’envolèrent complètement. Caleb s’occupait dans la chambre pendant que les deux jeunes gens se tenaient à la fenêtre en chuchotant.

Ella était auprès du jeune homme, avec une telle expression de sincérité et de confiance sur son visage, un abandon si doux et si modeste, que Caleb se sentait capable de chercher à évoquer ses vieux sentiments d’ironie.

La chance les avait favorisés, Donald avait vendu des aquarelles terminées depuis peu. Cela leur permettrait d’aller passer quelque temps dans un village modeste, au milieu des montagnes du Surrey. Pour le moment, on ne s’occuperait que de l’avenir rose.

Ils traversèrent les rues avec un sourire de pitié pour les malheureux qui allaient à leur travail et il leur semblait que toutes les cloches de la vieille cité, même celles qu’ils ne pouvaient pas entendre, carillonnaient en leur honneur.

L’église était très proche, une vieille église toute grise, située au milieu du mouvement et du tapage de la ville. Dans sa nef, où l’ombre flottait, de hautes stalles se dressaient et un orgue majestueux élevait son lourd buffet dont les sculptures restaurées dataient de la période des Stuarts. Quelques lumières brillaient çà et là et les rayons du soleil, tamisés à travers les hautes fenêtres, vinrent tomber sur ces deux enfants qui s’aimaient d’un amour si pur et si profond que les autres amours ne semblaient autour d’eux que des rêves fragiles.

Les jeunes gens marchaient, traversant l’ombre et les reflets ensoleillés de la chapelle, la main dans la main, regardant droit devant eux, suivis par Caleb. Un assistant de l’église vint à leur, rencontre, à mi-chemin, leur adressant quelques mots de bienvenue. À l’autel, Donald se retourna et regarda Caleb.

— Souvenez-vous, dit-il, que c’est vous qui servez de père à ma chérie. Écoutez.

Caleb écouta donc et répondit comme il convenait. Ella glissa sa main derrière elle à l’instant où il répondait et chercha la main de Caleb qu’elle serra doucement. Et le cœur désolé du vieillard, reconnaissant de ce geste, s’élança vers Ella en lui rendant sa douce pression.

Caleb n’avait pas pensé à la bague, mais à l’instant décisif, Donald en sortit une de sa poche en disant tout bas avec un sourire :

— C’était celle de ma mère, mon amour. Et il la passa au doigt d’Ella. Elle le regarda bien en face en levant la main, puis elle baisa le nom grave sur l’anneau.

Enfin, quand tout fut terminé, ils sortirent de l’église ensemble. Mais Ella s’arrêta sur le seuil, se retourna vers Caleb, mit ses bras autour du cou du vieil homme et, posant sa joue contre la sienne, elle l’embrassa.

— Cher, cher Taterley, dit-elle avec un petit rire ému, ne soyez pas trop triste jusqu’à notre retour. Embrassez-moi, Taterley. Dites-moi que je suis