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Taterley


CHAPITRE PREMIER

à propos d’un bizarre retour au logis, d’une étrange ressemblance et de quelques rêves.


Caleb Fry revenait de la Cité. Non pas comme les autres hommes reviennent chez eux en secouant de leurs pieds la poussière des rues ; avec la vision des sourires et des voix de leurs enfants qui leur souhaitent la bienvenue, avec l’espérance bénie du repos qu’ils goûteront avant de reprendre leur labeur.

Caleb Fry n’était pas de ceux-là ; il revenait de la Cité chez lui parce qu’il fallait absolument clore de temps en temps le sombre bureau, pour cette raison que personne n’y viendrait et n’y pouvait conclure la moindre affaire. Mais, comme le vieillard du conte de fée, son fardeau ne le quittait jamais ; et, pendant qu’il allait, courbé sous son poids, les sourcils froncés, il cherchait par quels moyens il pourrait l’augmenter encore.

Caleb Fry rentrait toujours pédestrement chez lui. Il revenait ainsi depuis si longtemps qu’il ne se souciait pas de compter le nombre des années, n’étant, d’ailleurs, plus d’âge à changer ses habitudes. À six heures et demie ponctuellement, il refermait la petite pièce qui lui servait de bureau et, ponctuellement aussi, à sept heures passées de quelques minutes, de retour dans une maison située dans un des recoins sombres de Bloomsbury, il grimpait, toujours absorbé, à l’étage supérieur. C’était là son home. À sept heures un quart, son dîner lui était monté par sa propriétaire qui le posait sur une petite table devant le feu.

Trait caractéristique dans sa manière de vivre : à peine sa propriétaire l’avait-elle vu au cours des longues années qu’il avait vécu là. Elle se contentait de préparer ses repas, ceux du domestique, et de les passer à celui-ci lorsque l’heure convenue avait sonné.

Caleb Fry était par goût un homme solitaire qui, hors de la Cité, ne parlait qu’à son domestique et encore par de brefs monosyllabes et s’en remettait à ce domestique pour les relations qu’il conservait encore avec quelques rares parents.

Dans son genre, le domestique était aussi bizarre que le maître : silencieux et sec comme celui-ci et, à son exemple, ne se servant que des mots indispensables à son service intérieur et extérieur.

Caleb Fry n’avait pas d’amis et aucune connaissance en dehors de la Cité, mais on disait tout bas que le maître et le serviteur avaient toujours vécu ensemble, qu’ils avaient partagé le même pupitre à l’école, avant l’époque très éloignée où la Cité avait absorbé le maître.

La rumeur publique ajoutait même que les hasards de la fortune qui avaient favorisé Caleb Fry avaient, au contraire, accablé son camarade et que Caleb