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TATERLEY
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Quand l’appartement se trouva tout à fait dans les ténèbres, il remit son vieux chapeau et sortit sans but déterminé, mais dans une direction, celle de la Cité. Il alla dans les rues et les allées désertes jusqu’à son office, regardant autour de lui si personne ne le voyait. Puis, se servant de la clef qu’il avait prise, il entra dans la pièce silencieuse.

Un bec de gaz brillait à travers un vieux volet de fer et dessinait des lueurs sur le plancher. Les papiers et les registres étaient à leur place, recouverts seulement d’une mince couche de poussière. Il regarda autour de lui d’un air sombre.

— Je vais leur donner un congé, fit-il. Il le faut, mais ils n’en travailleront que mieux quand je reviendrai.

Il leur fit un bref salut d’adieu puis il sortit. Il s’arrêta dans la rue avant de se diriger vers le cimetière éloigné qu’il avait visité ce matin-là, traversant les rues, indifférent à tout ce qui se passait autour de lui.

La sépulture de Taterley s’étendait dans un coin tranquille, où les tombes se trouvaient espacées, à quelques mètres des hautes grilles qui séparaient le lieu de repos d’une jolie route.

Comme il s’arrêtait, une jeune fille passa, appuyée au bras de son amoureux, elle lui souriait gaiement. Caleb les regarda passer tout rêveur, puis il se retourna vers les grilles, à travers lesquelles il essaya de retrouver sa tombe.


CHAPITRE VII

À propos du Taterley nouveau, de quelques emplettes et de quelques larmes.


Une âme nouvelle semblait animer Caleb après cette nuit passée sous la clarté des étoiles. Il lui semblait qu’un voile s’était déchiré devant ses yeux et lui laissait voir, dans une clarté grandissante, les hommes et les femmes tels qu’ils étaient réellement et non tels que son imagination s’était plu à les défigurer : êtres paresseux, inutiles, ayant quelque chose à vendre ou à acheter.

Ce matin-là, après avoir été réveillé par le soleil, il se remit en marche, sans projet bien défini dans l’esprit, lorsqu’il vit, s’avançant vers lui, jeune et vive silhouette d’une femme. Une attitude déjà vue dans le port de tête de la survenante attira son attention et, quand elle passa près de lui, il lui lança un regard furtif. Ses sourcils se froncèrent, son âpreté d’antan vint durcir son regard.

— La fille de Martin Tarraut, grommela-t-il, cette donzelle qui était avec mon neveu, l’autre après-midi. Elle va le retrouver, je suppose, pensa-t-il.

Il la laissa passer, puis se détournant, il suivit la même direction qu’elle. Comme elle ralentissait sa marche, incertaine, semblait-il, de la route qu’elle devait prendre, Caleb put rester derrière elle. Arrivée dans le voisinage du temple, elle enfila les petites ruelles, jusqu’à ce qu’elle eût gagné celle où s’abritait le logis de Donald Brett.

Hésitant, il fit les cent pas devant la maison où la jeune fille venait d’entrer et, jetant un coup d’œil sur son costume, il passa la main sur l’emplâtre qui voilait son œil et murmura :

— Il ne m’a vu qu’une ou deux fois dans sa vie et seulement quelques minutes. Il ne soupçonnera pas, il ne me reconnaîtra pas. Si je tentais la chose…

Il se décida soudain, après quelques instants d’un piétinement indécis, il escalada l’escalier, frappa doucement et ouvrit la porte. Donald Brett était assis à la table, poussée près de la fenêtre, tandis que, les bras croisés derrière