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JE SAIS TOUT

Vous avez été un des témoins du testament, dit-il à Caleb, qui s’avançait avec une certaine répugnance.

— Oui, dit Caleb, j’ai été témoin le soir de sa mort. J’ai mis le papier à la poste, c’est-à-dire, du moins, il l’a mis lui-même à la poste. Du moins, il est sorti avec la lettre et est rentré sans.

— Il est mort peu après. Mort presque immédiatement.

Caleb perdait son assurance, il craignait d’être découvert et il regardait l’avoué bien en face de son œil découvert ; il ressentait une satisfaction ironique à constater que cet homme de loi n’était pas bien perspicace et cela ajoutait à la joie de son déguisement.

Mais, à propos, Taterley, je ne sais pas quels sont vos projets. Vous avez vécu, je crois, de longues années avec M. Caleb Fry. Vous n’avez sans doute pas eu le temps, à cause de ces événements soudains, de penser à ce que vous allez faire à l’avenir. Cela ne me regarde évidemment pas. Vous avez peut-être de l’argent de côté, cela ne me regarde pas.

Il regardait le malheureux homme interrogativement. Le premier sentiment de honte que Caleb était destiné à éprouver souvent par la suite commençait à s’emparer de lui.

Il détourna les yeux.

— Je n’ai besoin de rien, dit-il sèchement, j’ai ce qu’il me faut. L’avoué haussa les épaules.

— Très bien, dit-il. Je regrette que votre nom n’ait pas été mentionné dans le testament de votre défunt maître. Il pensait peut-être pouvoir compter sur la générosité de M. Krudar, ajouta-t-il. Mais, hélas ! tous mes efforts ont été vains.

Caleb resta longtemps immobile, un sourire amer sur les lèvres. Pas de legs pour Taterley ! C’était bien tout à fait la manière de feu Caleb. Taterley m’a servi humblement et fidèlement comme un bon chien. Je lui donnais mes vieux habits, ceux que je ne pouvais absolument plus porter. Il n’avait d’argent que pour les dépenses de la maison et il devait m’en rendre un compte exact. Maintenant, quelle ironie des choses, le nouveau Taterley est laissé sans un sou ! Il ricana à cette pensée en considérant ses vieux habits.

— Pauvre Taterley ! Il a été oublié. Eh bien ! c’est comme cela que ça devait être.

Il se souvint que les habits dont il avait habillé Caleb après sa mort étaient restés dans l’autre chambre. Il alla les chercher et revint avec de l’argent dans sa main.

— C’est au moins cela, murmura-t-il tout bas en comptant quelques pièces de monnaie qu’il mit dans sa poche. Je suis surpris qu’il n’ait pas enlevé cela aussi. Ils vont sans doute prendre possession de l’appartement et des meubles. Le cousin Hector en voudra-t-il ? Ils peuvent les prendre, j’ai commencé la comédie, je veux en voir le dénouement.

Il éprouvait au milieu de tout cela une étrange surexcitation. Le commencement d’une nouvelle vie, cette attente des événements, l’impressionnaient singulièrement.

Durant les années écoulées, il avait vécu comme un ours, avec un poids sur les épaules. Même dans les plus heureux jours de réussite, avec le désir d’un événement qui vint l’enlever à la lugubre monotonie au milieu de laquelle il végétait. Et voilà qu’en satisfaisant un caprice, ce quelque chose de nouveau était survenu d’une façon étrange, il avait d’abord la tentation d’une curiosité : user de ruse et confondre ceux qui attendaient sa mort avec impatience. Au plus profond de son cœur, il ressentait la fatigue de gagner de l’argent sans raison définie, au delà du besoin de l’heure présente et, soudain, il avait senti l’occasion d’agir sans avoir l’argent pour mobile.