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TATERLEY
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— Grand Dieu, monsieur Taterley, dit-elle en s’arrêtant pour respirer, en levant les yeux sur lui, vous m’avez tourné les sangs, pour sûr. J’ai cru qu’il était arrivé quelque chose, je n’avais pas entendu cette sonnette depuis bien des années.

— Il est arrivé quelque chose ! dit-il à voix basse, en la regardant de près. Mon maître, M. Fry, est malade, mort, je crois, je ne puis le réveiller. Elle recula contre le mur et mit sa main sur son cœur en s’écriant :

— Dieu nous bénisse, il était bien portant il n’y a pas une heure ! Où est-il ?

— Là, dit-il en montrant la porte ouverte.

Ils entrèrent ensemble dans la pièce et contemplèrent le cadavre du pseudo-Caleb Fry, celui-ci soupçonneux et méfiant en face d’elle à mille lieues de soupçonner la vérité.

— Je vais aller chercher un docteur, dit-il. Ça a été très soudain, il s’est assis et il est mort.

Il entra dans la pièce voisine et prit le vieux chapeau de Taterley. Il descendit dans la rue, en proie à une fièvre de surexcitation.

— Elle qui le voyait tous les jours ne se doute de rien, pensait-il tout en se hâtant. Le médecin était chez lui et ils revinrent ensemble.

La femme et les deux hommes pénétrèrent dans la pièce. Le docteur se livra à un rapide examen.

— Oui, il est bien mort, dit-il gravement. Combien y a-t-il de temps que vous vous en êtes aperçu ?

— Environ une demie-heure, dit-il, j’ai essayé de le ranimer.

— Ça ne pouvait pas servir à grand-chose, dit le docteur. Il a dû mourir sans souffrances, une attaque, sans doute.

Il jeta un regard circulaire.

— Vous l’avez vu mourir ?

— Oui, dit Caleb lentement après un moment d’hésitation. Je… je suis son domestique, Taterley.


CHAPITRE VI

Concernant certains parents, le franc-parler et une visite d’adieux.


L’enquête avait eu lieu, le verdict avait été rendu et, maintenant, Taterley — Taterley, la ruine — dont la vie sombre et monotone s’était achevée brusquement, était couché dans son cercueil. On bel écriteau d’argent attaché sur le couvercle affirmait mensongèrement que les restes mortels de Caleb reposaient là. Il avait toute sa vie été dominé par la plus forte personnalité de son maître, même dans la mort, il perdait la sienne et servait à ce maître par une macabre ironie pour la réalisation d’un projet plus macabre encore. Caleb avait été le témoin le plus important de l’enquête, très attentif à ses paroles, il avait narré son histoire sans se tromper et sans se troubler. L’affaire était des plus simples et il n’avait pas subi un bien troublant interrogatoire.

— Chose curieuse, dit l’avoué, j’ai reçu de M. Caleb une lettre en communication, envoyée le soir même de sa mort : son testament. En effet, étant données. les circonstances, on ne peut douter que ce ne soit ses toutes dernières volontés.

La porte s’était doucement ouverte pendant qu’il parlait et Caleb était entré, lentement et demeurait là dans la pénombre du seuil.

— Le testament a été signé par devant témoins, il est absolument en règle, c’est un document, j’ose le dire, parfaitement légal. Il est daté du jour de sa mort. Je n’ai pas ce document sur moi, mais en deux mots, je puis dire que toute la fortune de Caleb Fry passe à son cousin Hector Krudar. Mais vous, Taterley