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JE SAIS TOUT

propres parents ne m’ont pas vu depuis bien longtemps. Si je changeais avec Taterley, pour leur laisser enlever Caleb Fry ? Je pourrais savoir tout ce qu’ils feraient et tout ce qu’ils diraient de moi, et puis je pourrais reparaître et me venger d’eux, sortir de ma tombe et venir leur reprendre l’argent.

Il traversa de nouveau la pièce pour venir examiner Taterley avec attention.

— On a toujours dit qu’il me ressemblait beaucoup, est-ce possible ? Est-ce qu’on soupçonnerait quelque chose ? Pourquoi ?

Alors, en proie à une terrible hâte qui le faisait haleter, il traversa la pièce et ferma la porte à clé. Revenant à la table, il hésita un moment.

— Et les affaires ? grogna-t-il tout bas, je n’y avais pas pensé. Eh bien, murmura-t-il en faisant claquer ses doigts, voyons ce que cela deviendra sans moi. Je vais prendre un congé, Je serai mort et vivant dans ma tombe et, pourtant, parmi eux. Essayons, essayons au moins.

Toute l’horreur macabre d’une pareille combinaison s’effaçait aux yeux de Caleb devant les affreux avantages que lui offrait ce tour de passe-passe diabolique.

Caleb prit le cadavre dans ses bras et, l’ayant à demi traîné à travers la pièce, il vint le reposer sur une chaise ; il se livra à un examen minutieux des moindres particularités des vêtements et de la personne de Taterley, dont le visage était empreint d’un grand calme, l’œil unique étant fermé.

Le premier soin de Caleb fut d’enlever le taffetas noir retenu par un élastique, qui voilait l’œil borgne de son domestique, de le poser sur son œil droit à lui. La paupière de cet œil chez Taterley était simplement close comme l’autre ; une fois le taffetas noir enlevé, le visage de Taterley changeait d’une façon surprenante.

Puis Caleb fit un léger changement dans sa maigre chevelure et modifia également la coiffure de Taterley.

Enfin, adroitement et vivement il commença à lui retirer les vêtements qu’il portait.

— Rien ne pourra leur donner de soupçon, dit-il, ils prendront la chose tout naturellement. Et Caleb Fry sortira de sa tombe en chair et en os, pour se moquer d’eux.

Au bout de dix minutes, il avait complètement changé de vêtements avec le mort, en prenant bien soin de ne rien laisser qui lui appartînt sur Taterley. Ceci fait, il remit le corps dans sa position première, le regardant avec un sourire ironique. L’œil libre de Caleb Fry brillait malicieusement. C’était Taterley lui-même.

S’étant reculé vivement pour se regarder dans le vieux miroir posé sur la cheminée :

— Mon Dieu, dit-il tout bas, c’est Taterley revenu à la vie !

La ressemblance était vraiment extraordinaire. Personne en entrant dans cette pièce n’aurait douté qu’il se trouvât en présence de Taterley vivant, bien portant et veillant sur son maître, Caleb en était certain.

— Il parlait comme moi, mais plus doucement, Maintenant Taterley, dit-il, avec un affreux sentiment du comique de cette situation, Taterley, qu’auriez-vous fait ?

Caleb Fry semblait bien avoir deviné la conduite de Taterley en pareille occurrence, car il alla à la cheminée où il agita la sonnette fortement et à plusieurs reprises et, ouvrant la porte très grande, il sortit sur le palier.

— Voyons la première impression, dit-il. Voyons ce que dira cette femme. Ah ! Gibson, oui. c’est son nom. Et, se penchant sur la rampe, il se mit à appeler Mrs Gibson, Mrs Gibson, venez ! Venez !…

On entendit des pas précipités gravissant les escaliers et il vit la femme toute haletante monter rapidement.