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TATERLEY
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Le nouveau venu s’inclina et prit la physionomie intéressée et l’attitude impartiale d’un juge dans de graves circonstances.

Le vieux Caleb reprit :

— Je viens de dire à ce jeune homme que c’est la dernière visite que je lui fais ici, car, à partir d’à présent, j’en ai fini avec lui. Vous ne saviez peut-être pas que j’avais la sotte intention de lui laisser ce que je possède. Mon testament sera détruit aujourd’hui et, maintenant, cousin Hector Krudar, que dites-vous de ça ?

Le cousin Hector Krudar n’avait rien à dire. Il prit l’expression d’une profonde tristesse et, ayant soupiré, il écouta de l’air le plus tranquille l’explication qui lui était donnée.

— Ce crétin, dit Caleb en montrant Donald d’un geste méprisant, a osé dire qu’il suivait sa carrière, il a osé m’insulter, moi, auquel il doit tout ou presque tout. Il a choisi pour amis mes pires ennemis. Eh bien, qu’il fasse ses volontés et qu’il crève de faim ! Il choisira ses amis et leur demandera de l’aider : j’ai assez de lui !

Le cousin Hector Krudar fit un signe de tête encourageant à Donald.

— Voyons, voyons, mon jeune ami, regardez en face votre situation, je vous en prie.

Il s’était assis sur le bras d’une chaise et tendait la main à Donald de la façon la plus persuasive.

— Laissez-moi vous exposer clairement la situation où vous vous êtes mis.

— Ce n’est pas nécessaire, merci, dit Donald impatiemment, je ne veux pas de son argent, j’en ai assez entendu.

— Pardonnez-moi, dit l’autre avec une lenteur pleine d’apitoiement, si je me hasarde, en homme du monde, à vous reprendre. Vous avez besoin, ou vous aurez besoin de son argent. Je suis fort honnête moi-même et je ne rougis pas d’avouer que je l’accepterais fort bien. J’ai toujours besoin d’argent. Avec de l’argent, un homme achète tout ce qu’il désire en ce monde et j’ai beaucoup de désirs.

Caleb hocha la tête à plusieurs reprises et sourit presque en disant :

— Voilà une honnête opinion, honnêtement exprimée.

— Donc, continua Krudar avec une éloquence croissante, laissez-moi vous supplier de ne pas dire que vous ne voulez pas de son argent. Je parle d’une façon toute désintéressée quand je vous supplie de faire la paix et de vous assurer tout ce dont vous aurez besoin pour votre bien-être dans l’avenir. Quant à votre charmante amie, ici présente, que je n’ai pas l’honneur de connaître, j’ose prédire, si je sais quelque chose du cœur des femmes, qu’elle ne vous verra pas du même œil favorable dans des circonstances différentes. Songez-y, mon garçon, songez-y.

Il se redressa en disant cette phrase pour sourire doucement au plafond.

Donald marcha sur lui d’un air menaçant.

— Dites donc, Krudar, fit-il les sourcils froncés, ayez la bonté de garder vos conseils pour d’autres et de sortir.

— Vraiment, les jeunes sont colossalement ingrats ! murmura M. Krudar les yeux toujours fixés au plafond. Mais leur inexpérience est bien amusante pour un vieux routier tel que moi ! dit-il avec un soupir.

— Eh bien ! cousin Hector Krudar, vous voyez à quelle espèce d’individu j’ai à faire, dit Caleb. C’est perdre sa salive que de lui parler. Il devrait vous être reconnaissant, Dieu sait ! Allons, je m’en vais ! Tout est fini entre nous deux. Il se dirigeait vers la porte quand le cousin Hector se leva vivement.

— Oui, c’est un effort bien vain, un effort tout à fait vain, dit-il en regardant Donald de côté.