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JE SAIS TOUT

pendant vos longues années d’école ? Qui vous a procuré un emploi convenable, après la mort de votre père, jusqu’au moment où vous avez refusé de continuer à gagner votre vie d’une manière décente ? Dites-le, monsieur, dites-le !

Donald Brett se redressa ; une légère rougeur teintait ses joues, ses paupières s’agitaient rapidement.

— J’étais incapable de rien faire, ma mère m’avait laissé à vos soins. Quant à cet emploi, je vous ai supplié de me laisser faire ce qui me plaisait. J’avais horreur des affaires.

— Naturellement, dit Caleb d’une voix rauque, en se tournant vers lui d’un air furieux. Comme vous avez horreur de tout ce qui est honnête ! Ceci est tout différent, dit-il, en enveloppant d’un regard méprisant l’atelier. Vous flânez ici avec votre thé et vos femmes… et vous espérez…

— Arrêtez, monsieur, s’écria Donald d’une voix irritée. Cette jeune fille est mon amie, mon invitée, c’est la personne la plus pure, la meilleure qu’on puisse trouver sous le ciel.

Caleb se tourna pour dévisager Ella Tarraut, les lèvres pincées dans un sourire ironique.

— Vraiment, une jeune fille ? Eh ! présentez-moi donc !

La présentation fut faite d’une façon très sèche. Le vieux Caleb répéta plusieurs fois le nom d’Ella Tarraut, comme s’il lui rappelait quelque souvenir et regardait fixement la jeune fille.

— Ah ! oui ! il me semble me rappeler ce nom, dit-il enfin tout ironique. Et, s’il vous plaît, mademoiselle, comment vos parents vous permettent-ils de rendre visite de cette façon à un jeune homme, chez lui ?

La jeune fille lança à Donald un regard désolé, celui-ci frémissait et se promenait de long en large, allant d’elle à Caleb et de Caleb vers elle.

Ella, s’armant du courage de l’innocence, répondit avec une touchante simplicité, qui aurait ému un autre cœur que celui de Caleb.

M. Brett est le meilleur ami que j’aie et je voudrais aussi être son amie. Mon père est mort.

— Très joli ! très convenable ! dit Caleb d’un ton sarcastique.

Il la considéra de plus près.

— Votre père était-il Martin Tarraut, de Gresham Street ?

— Oui, répondit-elle en le regardant d’un air curieux.

— Alors, vous êtes la fille de Martin Tarraut ? Eh ! l’avez-vous jamais entendu parler de moi ? Caleb Fry ?

Elle jeta les yeux sur lui et son visage revêtit une expression aussi sérieuse que ses traits enfantins le lui permettaient.

Donald Brett les regardait l’un et l’autre, surpris par cette nouvelle péripétie.

— Il a souvent parlé de vous et avec beaucoup d’amertume, dit lentement la jeune fille.

— Bien entendu, bien entendu, dit Caleb sèchement en s’asseyant, en examinant la jeune fille et en fronçant les sourcils. Et c’est tout ?

— Il m’a dit, sur son lit de mort, ajouta-t-elle en se détournant et en couvrant les yeux de ses mains, que vous l’aviez volé et ruiné !

— Ah ! les hommes à leur lit de mort excusent généralement leurs folies par de pareils termes, murmura Caleb.

Il se penchait rageusement en avant et tapait du poing la petite table qui tremblait sous ses coups.

La jeune fille ne répondait pas, mais se rapprochait de Donald Brett… Caleb continua avec un rire sec :

— Eh bien, oui, tous les hommes disent cela, fit-il avec un rire sec. Prenez-