Page:Galien-Oeuvres anatomiques physiologiques et médicales-T1-1854.djvu/37

Cette page a été validée par deux contributeurs.
5
QUE LE BON MEDECIN EST PHILOSOPHE.

Pourrions-nous, à notre époque, citer un homme si détaché de l’argent, qu’il se contente de celui que réclament les besoins indispensables du corps ? Trouverait-on un homme qui pourrait non-seulement enseigner par ses discours, mais démontrer par la pratique, que la limite naturelle de la richesse est de n’avoir ni faim, ni soif, ni froid ? S’il se trouve un tel médecin, il dédaignera les faveurs d’Artaxerce et de Perdiccas[1] ; jamais il ne paraîtra devant le premier ; quant au second, il le traitera s’il souffre de quelque maladie qui réclame l’art d’Hippocrate ; mais il ne se croira pas obligé de rester toujours auprès de lui, et se rendra à Cranon, à Thasos et dans d’autres bourgades, pour y soigner les pauvres. Il laissera à Cos, auprès de ses concitoyens, son gendre Polybe et ses autres disciples ; quant à lui, il parcourra toute la Grèce, car il lui faut écrire sur la nature des lieux. Afin donc de vérifier par sa propre expérience ce que le raisonnement lui a appris, il devra nécessairement visiter les villes exposées soit au midi, soit au nord, soit au levant, soit au couchant ; celles qui sont situées au fond d’une vallée, et celles qui sont placées sur une hauteur ; il parcourra aussi celles où l’on use soit d’eaux qui viennent de loin[2], soit d’eaux de fontaines, soit d’eaux de pluie, soit enfin d’eaux de marais ou de fleuves ; il ne négligera pas de s’informer si l’on boit des eaux très-froides ou des eaux chaudes, ou des eaux nitreuses, ou des eaux alumineuses[3], ou d’autres espèces analogues ; il visitera les villes situées près d’un grand fleuve, d’un marais, d’une montagne, de la mer ; enfin, il étudiera toutes les autres circonstances dont Hippocrate nous a

  1. Par une sorte de figure de rhétorique, qui n’est pas sans élégance, Galien trace au médecin la conduite qu’il doit suivre, en lui proposant pour modèle les principales actions qu’on attribue à Hippocrate. Ce tableau n’a, on le sait, aucune réalité historique, mais le point de vue moral est si élevé qu’il serait de mauvais goût de disputer ici à Galien le moindre trait du récit légendaire.
  2. Ἐπ’ἀκταῖς, Bâle, ἐπακταῖς, Chart., ἐπακτοῖς, ms. 2164, Coray et Kühn conformément au passage d’Hippocrate (Des Airs, des Eaux et des Lieux, § 9) : καὶ ὁαόσοι ὕδασι ἐπακτοῖσι χρέονται, διὰ μακροῦ ἀγομένοισι καὶ μὴ ἐκ βραχέος.Διὰ μακροῦ… βραχέος pourrait bien être une très-ancienne glose d’ἐπακτοῖσι.
  3. Le nitre des anciens était, non du salpêtre, mais de la soude brute. Voy. sur ce point Harless dans Janus, t. I, p. 454 suiv. — Quant aux eaux dites alumineuses, il faut les regarder comme étant des eaux ferrugineuses ainsi que je le montre ailleurs (voy. la 2e édit. des Œuvres choisies d’Hippocrate).