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rameurs se relayaient à tour de rôle. La nuit ils campaient sur la rive sauf deux qui veillaient sur le sommeil des maîtres.

— Est-ce que les fauves ne les assaillent pas ? demanda Lucien.

— Don Manuel se mit à rire. Ah oui, les jaguars, les pumas ? De la légende, mon ami. À peine ils vous voient, ils se sauvent à toutes jambes.

Le vrai péril est dans l’eau. Les caïmans auraient vite fait de vous dévorer. Quand nous reviendrons vous pourrez constater par vous-même dans les forêts près de Cuzco que les fauves n’attaquent jamais.

— Et les serpents ? demanda Lucien.

— Je ne crains que la vipère dit le cacique. Sa morsure est presque toujours mortelle. Si le cas arrivait avec vous il faudrait arrêter aussitôt la circulation du sang en liant fortement le membre. Ensuite faire jaillir le sang empoisonné et cautériser la plaie avec du nitrate d’argent. Don Manuel tira un cigare et en offrit un à Lucien.

— Dans combien de jours serons-nous à Iquitos ? demanda le monteur.

— Dans un mois environ, répondit le cacique.

— C’est donc si loin que cela ?

— On voit bien que vous êtes un européen, dit Don Manuel en riant. Habitués aux chemins de fer, aux bateaux rapides, vous ne vous rendez pas compte du temps qu’il faut pour aller à pied ou à la rame. Ensuite nous nous reposons la nuit. Croyez bien que si nous y sommes dans un mois nous aurons bien marché. Le reste du voyage se passa ainsi en conversations. Trente cinq jours après le départ de Cuzco, la troupe atteignit le port d’Iquitos.

Don Manuel et Lucien allèrent chez le correspondant de Petitjean qui leur livra le bateau et le chargement.

Aussitôt les hommes de la pirogue en prirent possession et attachèrent leur bateau à l’arrière.

Il fut convenu qu’on partirait le lendemain après avoir fait les provisions de bouche pour le retour.

Comme l’aménagement intérieur ne comportait que six cabines, les indiens coucheraient sur le pont avec le matériel du sans fil et le bazout.

Don Manuel alla faire ses emplettes et Lucien resta à bord avec les autres.

Le lendemain, à l’aube, le canot électrique quittait le port conduit par Lucien. La même journée il pénétrait dans le Javari. Il remonta celui-ci pendant quatre jours sans difficulté, mais le cinquième il trouva sa route barrée par des troncs d’arbres et des rochers de chaque côté de la rive. Il en fit part à Don Manuel.

— Nous ne pourrons jamais passer lui dit-il.