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de lui une autre porte s’ouvrit. Une vraie salle de restaurant apparut avec ses tables, ses nappes, ses verres mais avec cette particularité que les assiettes, les fourchettes, les cuillères étaient en or.

Les couteaux aussi mais avec lame d’acier.

L’inca s’assit et fit placer Lucien à sa droite. Ensuite il sonna sur un petit gond placé devant lui. Une femme, plutôt une enfant d’une quinzaine d’années apparut. Sers-nous, dit l’inca en espagnol.

— Voyez-vous, mon ami, dit-il à Lucien, vous avez ici des gens qui pourront vous comprendre.

La jeune fille revint avec une soupière contenant un liquide blanchâtre. Vous avez déjà mangé du choupe, je suppose ? interrogea-t-il. Non, dit Lucien mais on dit que c’est délicieux.

— Versez-lui en une assiette, Linda dit l’inca à la jeune fille. Celle-ci s’exécuta. Lucien regarda alors seulement l’enfant. Il parut étonné de son examen. Le monarque s’en aperçut.

— Vous êtes étonné de trouver ici un type de race aussi dissemblable au nôtre, n’est-ce pas ? Oui dit Lucien.

— Je vais satisfaire votre curiosité dit l’inca. Linda, qui signifie jolie en espagnol, est ma fille naturelle. Lorsque j’étais jeune homme je m’épris d’une aventurière, jolie danseuse andalouse que les hasards de l’existence avaient amenée à Puno, au retour de la Bolivie. Elle était malheureuse, j’étais riche. J’en fis ma maîtresse. C’est le fruit de mes amours que vous voyez là. La mère est morte en donnant le jour à l’enfant, sans savoir qui j’étais. Mais elle voulut que sa fille fut chrétienne. J’obéis à ses désirs. C’est le seul être blanc avec vous qui ait jamais franchi le seuil de mon empire. À mesure qu’il parlait Lucien se prenait d’une grande sympathie pour la jeune fille.

Puis il la regarda attentivement. Vraiment elle méritait son nom. Jamais il n’avait vu un type de beauté aussi accompli, un ovale aussi pur, de si grands yeux noirs aux cils aussi longs. C’était tout ce qu’un Murillo aurait pu rêver pour ses tableaux comme parfaite beauté.

On y reconnaissait la mère, l’Andalousie, le pays aux jolies femmes et aux petits pieds.

Son potage au lait et aux écrevisses avalé, il dépeça son poisson.

— Connaissez-vous les pejerey ? demanda l’inca à Lucien.

— Oui dit celui-ci.

— Est-ce que ce poisson en est ?

— Parfaitement.

— Il provient de mon vivier. J’ai pu me procurer des alévins qui sont bien venus en eau douce.

Vous voyez qu’ici il ne me manque rien, Le mets suivant se composa de couyes au poivre de Cayennes (aji). Voilà un plat que peut-être vous