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le fort et le chateau saint-louis

voyais leurs larmes fondre l’épais frimas des vitres des deux fenêtres où elles restèrent longtemps la tête appuyée. Dès ce jour je compris les horreurs de la révolution française. »

La population du Canada français fut consternée à cette nouvelle, continue M. de Gaspé, et « un sentiment de profonde tristesse s’empara de toutes les âmes sensibles…[1]

Dans une étude lue en séance publique à l’Université Laval, M. Joseph-Edmond Roy a fait connaître l’effet produit par la révolution française sur la population des petites îles de Saint-Pierre et Miquelon. On proclama l’égalité jusque dans les embarcations de pêcheurs, et la populace fut prise de vertige comme en France. Par les détails donnés par M. Roy, on peut juger des sanglantes journées qui eussent été réservées à notre Canada si la Providence ne nous avait séparés de la mère-patrie en temps opportun.

Après le traité de paix conclu en 1783 entre l’Angleterre et la nouvelle république des États-Unis d’Amérique, l’isolement dans lequel on avait tenu nos nationaux cessa temporairement ; de jeunes Canadiens se rendirent à Paris pour y compléter leurs études, et revinrent dans nos villes

  1. « Monsieur de Belêtre, gentilhomme canadien, était à Paris le jour même de l’exécution de Louis XVI. Connaissant les sentiments de l’hôte chez qui il logeait, il fut surpris de le voir prêt à sortir le matin avec la cocarde tricolore, et lui dit : — Où allez-vous, mon ami ?

    — « Je me rends, répondit-il, à la place de la guillotine, pour conserver ma tête, celle de ma femme, de mes enfants, et la vôtre, monsieur.

    « M. de Belêtre, de retour en Canada, racontait que lorsque cet homme rentra chez lui, il se jeta dans les bras de sa femme, et s’écria au milieu de ses sanglots : J’ai eu la douleur de voir tomber à mes pieds la tête du Roi ! » (Ph. A. de Gaspé). »