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le fort et le château saint-louis

ces hypothèses ; mais ce qui est incontestable, c’est qu’aucun homme au monde n’eût été assez puissant pour parer aux causes multiples des profondes modifications que le Canada devait subir ; c’est que la divine Providence, en nous séparant du pays toujours aimé de nos ancêtres, — ce que nous croyions être le suprême malheur — nous a traités avec bonté et nous a épargné des maux incalculables.

Pendant les dernières années du régime français en Canada, tous ceux qui, dans ce pays, avaient de la fortune en abusaient. L’intendant et ses créatures spéculaient, festoyaient, entassaient de l’or ; les officiers se battaient bravement en été, mais jouaient tout l’hiver d’une manière effrénée. Toute la population frivole — heureusement peu nombreuse — de Québec et de Montréal, qui vivait dans des fêtes continuelles pendant que les habitants des campagnes multipliaient les sacrifices pour faire face aux événements, quitta la colonie après la conquête, de même que les personnages officiels et un certain nombre de familles qui avaient en France de proches parents relativement à l’aise. Une partie périt dans le naufrage de l’Auguste, sur les côtes du Cap Breton, en 1761. Les militaires s’embarquèrent pour la France en 1759 et en 1760. Une dernière émigration, comprenant plusieurs familles de négociants, eut lieu après la signature du traité de Paris, en 1763 et en 1764 ; elle se dirigea partie vers la France, partie vers Saint-Domingue. Parmi les personnes qui durent ainsi quitter la colonie, un grand nombre étaient dignes d’estime et même d’admiration, et si cet exode fut une expurgation pour la société canadienne, par rapport à certains sujets, il causa en même temps un affaiblissement regrettable dans la partie saine