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trina, par exemple, sans avoir longtemps, bien longtemps étudié le contre point dont ils faisaient usage. La phraséologie de ces mélodies est toute différente de celle de nos mélodies modernes,[1] et une des plus grandes difficultés, sinon la plus grande, qui s’offrirait à l’accompagnateur moderne, serait de discerner, dans ces mélodies, les notes de passage des notes qui doivent faire partie intégrante d’un accord ; puis de décider à quel accord faire rapporter telle ou teille note de passage qui, prise isolément, ne doit avoir aucun lien de parenté avec l’accord qui se fait entendre avec elle. Ainsi, par exemple, dans notre musique moderne, il est certaines parties de la mélodie que l’on n’accompagne pas en faisant un accord pour chaque note ; il est certaines suites de notes, certains tours mélodiques, qui ne sont harmonisés que par un seul accord et qui ne reçoivent tel ou tel accord qu’en raison d’une phrase qui précède ou en vue d’une résolution pressentie. On comprend que, pour harmoniser ces notes de passage, il faut posséder à fond le génie de notre tonalité ; il faut que cette tonalité soit, en quelque sorte, notre langue maternelle. Or, possédons nous assez bien la tonalité ancienne pour donner à de telles notes de passage l’harmonie qui leur convient ? J’en doute ; et,

  1. J’assistais, en 1858, à Rome, à une messe solennelle célébrée dans la Chapelle Sixtine. Ou y chantait de la musique du 15e ou du 16e siècle. C’était la première fois qu’il m’était donné d’entendre de telle musique, et j’avoue que je la trouvai fort étrange. Au moment où je croyais tenir une phrase elle disparaissait dans une fuite (fuga) qui me semblait insolite ; impossible de prévoir une résolution, de lier deux phrases ensemble. Il y avait peut-être de grandes beautés dans cette musique, mais cette tonalité m’était étrangère ; j’entendais ces sons comme j’aurais entendu de l’Hébreu, sans rien y comprendre.