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CHANSONS POPULAIRES
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point de vue de l’art seul, on ne peut contester que la formation de la tonalité moderne ne soit un progrès immense. Sur quel élément repose cette dernière ? Sur la dissonance, sur la modulation, sur la transition, comme dit l’école, qui expriment la division, la variété, le conflit ; qui se prêtent à l’expression de tous les états de l’âme, aux mille modifications des sentiments et des passions de la lutte desquels naît l’action dramatique. Et cela est si vrai, que l’invention du drame musical, dans les temps modernes, date de la création de l’harmonie dissonante naturelle,[1] c’est-à-dire de l’origine de notre tonalité. Mais qui ne sent que, dans une langue musicale ainsi constituée, la modulation, cet élément qui exprime toutes les modifications de l’âme humaine, ne peut être séparée de la mesure, qui exprime les modifications de la durée, non plus que des images de l’instrumentation, de ces effets et de ces contrastes de sonorité qui expriment les modifications de l’espace ? Qui ne sent que le genre que nous venons de caractériser est la musique au point de vue des sens et de la chair, celle qui dérive de l’élément humain, de la dissonance , tandis que celle qui a pour principe l’élément du repos et de la consonance ne connaît ni modulation, ni mesure, ni artifice d’instrumentation, ni nuance d’exécution matérielle ? Dans cette dernière, le temps ne se divise et ne s’apprécie que d’une manière égale, abstraite et absolue.[2] C’est le symbole, l’aspiration, l’intuition, la contemplation, la vision de l’infini, qui embrassent la durée et l’espace tout entiers ; c’est, en

  1. Fétis. Résumé, pp. CCXVII-CCXXII.
  2. Fétis. Résumé, p. CLXXVI.