Page:Gagnon - Chansons populaires du Canada, 1880.djvu/344

Cette page a été validée par deux contributeurs.
326
CHANSONS POPULAIRES

change de coups de poings, argument qui, comme l’a dit quelque part un spirituel écrivain, ne se trouve pas dans la grammaire des grammaires.

Mais de pareils témoignages d’amitié ne résolvent rien. Si on voulait nous en croire on soumettrait tout simplement la question à un arbitre, et cet arbitre, on le devine, ce serait le peuple. J’ai d’ordinaire peu de confiance en ses jugements, mais le cas est exceptionnel.

Assurément on ne pourrait accuser le peuple de partialité : il n’entend rien à nos discussions ; il fait sa prose ou ses vers sans le savoir, comme le bonhomme Jourdain. Écoutons-le chanter, c’est la vraie nature prise sur le fait.

Le peuple chante dans les vieux modes grégoriens, non pas parce qu’il suit une note écrite qui le veut ainsi : il ne comprend rien ni aux notes, ni à aucun système musical, — mais parce qu’il obéit à son insu à un ordre de choses supérieur, venant de Dieu et du rapport qui existe entre les choses visibles et les choses invisibles. Il subit l’action de tout ce qui l’entoure, et il trouve naturellement l’expression de ses sentiments, de l’état de son esprit et de son cœur, sans aucun calcul, sans aucune idée préconçue de théorie ou de système. « La musique, a dit Leibnitz, est un calcul secret que l’âme fait à son insu. »

Et notez qu’on ne peut attribuer à l’emploi d’instruments à sons fixes une éducation de l’oreille prétendue défectueuse, et que l’on ne saurait appeler la tonalité de nos chants populaires la tonalité des cornemuses, comme écrivait quelque part madame George Sand. J’ai déjà dit que les