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DU CANADA
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laires qui portent aussi le cachet antique, mais qui affectent la plus parfaite indépendance à l’endroit des formes modales. Mélodies charmantes dans leur étrangeté, j’allais dire leur sauvagerie, elles offrent le plus souvent un mélange du premier mode grégorien et du mode majeur, et elles se promènent ainsi, sur un rhythme tantôt binaire tantôt ternaire, jusqu’à ce qu’il leur plaise de s’arrêter sur un intervalle dont l’oreille est tout étonnée, intervalle irrationnel suivant toutes nos lois, et pourtant d’une réelle beauté.

Ces mélodies sont précieuses à recueillir. D’une valeur incontestable, malgré leur bizarrerie, elles témoignent qu’en dehors de nos lois anciennes et modernes, il y a encore un vaste champ pour la musique de l’avenir.

On a souvent dit que l’échelle du chant grégorien n’était qu’un reste de barbarie, le débris d’un système de pure convention. Ces idées, il est vrai, n’ont plus cours parmi les musiciens instruits, mais comme elles sont profondément enracinées chez d’autres, et que ces derniers sont, après tout, le plus grand nombre, elles sont encore très-discutées. Or, entre musiciens qui ne s’accordent pas, il n’y a souvent d’autre argument possible que l’é-

    qu’on fasse, on ne donnera jamais un caractère véritablement religieux à la musique sans la tonalité austère et sans l’harmonie consonante du plain-chant ; il n’y aura d’expression passionnée et dramatique possible qu’avec une tonalité susceptible de beaucoup de modulations, comme celle de la musique moderne ; enfin, il n’y aura d’accents langoureux, tendres, mous, efféminés, qu’avec une échelle divisée en petits intervalles, comme les gammes des habitants de la Perse et de l’Arabie… L’inspection de la musique d’un peuple peut donc donner une idée assez juste de son état moral, et Platon et les philosophes chinois n’ont pas été à cet égard dans une erreur aussi grande qu’on pourrait le croire. ” (Fétis, Résumé, p LIII.)