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qui l’entourent pour leur annoncer sa fin prochaine et ses regrets de quitter la vie ; puis il parle de ses souffrances, des inquiétudes qu’il éprouve pour les familles qu’il réunit ensemble, dans sa sollicitude, sous le nom collectif d’amis. Il parle de ses terribles appréhensions à la vue de la fumée d’un campement près de sa loge, de son trop grand contentement de reconnaître des visages français, de son impuissance à les appeler et à s’élancer vers eux, de leur départ sans s’être aperçu de sa présence, et de sa désolation.

Cadieux voit un loup et un corbeau venir flairer son corps malade ; par un retour de gaieté de chasseur et d’orgueil de guerrier des forêts, il menace, l’un de son fusil et dit à l’autre d’aller se repaître des corps des Iroquois qu’il a tués.

Il charge ensuite le rossignol, compagnon de ses nuits sans sommeil, d’aller porter ses adieux à sa femme et à ses enfants qu’il a tant aimés ; enfin, comme un bon chrétien qu’il est, il se remet entre les mains de son Créateur et se recommande à la protection de Marie.

Des voyageurs ont prétendu que Cadieux ne savait pas écrire, et que le fait de ce chant écrit sur de l’écorce ne pouvait être, par conséquent, que le résultat, d’un miracle ; mais Cadieux, sans être instruit, savait écrire comme tous les interprètes de ce temps-là. Toujours est-il que la chose a été vue comme elle est racontée.

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Les trois Canadiens pleurèrent en lisant sur l’écorce ce chant de mort du brave Cadieux. Ils consolidèrent la croix de bois, remplirent la fosse qui contenait les restes de cet homme fort, élevèrent un tertre sur cette tombe solitaire et prièrent pour le repos de l’âme de leur ami.

L’écorce sur laquelle était écrite la complainte de Cadieux fut apportée au poste du Lac : les voyageurs adaptèrent un air approprié à ce chant si caractéristique de la rude vie de chasseur et de guerrier des bois, si étonnant par les idées et si digne de remarque à cause des circonstances de sa composition.[1]

M. Houde, ancien député, qui a longtemps voyagé sur

  1. Je connais un des descendants du héros de cette histoire, le père André Cadieux, vieillard de 71 ans, qui réside sur les bords du lac Huron. « Cadieux, m’a-t-il dit, était le grand-père de mon grand-père ! » (Note de M. Taché.)