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me rendre un grand service, lui dit M. de Montbarrey d’une voix altérée.

— Je suis tout à vous.

— Je viens vous demander, reprit le comte en paraissant faire un violent effort sur lui-même, un poison qui me débarrasse de la vie sans laisser la trace du suicide. Ma femme ne croit pas à mon innocence, je le vois ; mon amour l’effraye, je lui fais horreur, et pourtant elle m’aime, et s’accuse d’être la cause de mon crime. Ainsi, la tendresse et le remords se partagent son cœur. Elle souffre, et, par délicatesse, elle me cache sa souffrance : mais, j’en ai le pressentiment, elle en mourrait. Je veux donc, par ma propre mort, empêcher cet affreux malheur.

— Elle vous aime, dites-vous, et vous pensez que votre mort la sauverait ?

— Je l’espère : quand je ne serai plus, peu à peu elle oubliera…

— Puisque vous croyez que votre présence lui est pénible, pourquoi ne pas vous séparer ?

— Vivre loin d’elle, s’écria le comte ! Ah ! vous ne savez pas combien je l’aime ! Et d’ailleurs, n’est-ce pas assez d’avoir uni la vie de cette femme jeune et pure à mon odieuse existence ? La loyauté ne me commande-t-elle pas de lui rendre du moins sa liberté ?