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grands yeux bleus, souvent levés vers le ciel, semblait dire qu’elle avait renoncé à toute félicité ici-bas, et qu’elle puisait sa consolation dans l’espoir d’une autre vie. Mlle de Charassin personnifiait à la fois le désenchantement et la résignation.

Notre entrevue fut triste, car elle éveillait le souvenir des absentes. Renée prit mon bras, et m’offrit de faire un tour de promenade. Nous avions les yeux et la voix remplis de larmes. Par mon silence et mes regards, je parus sans doute la questionner ; car elle me dit en me serrant la main :

— Restez avec nous jusqu’à demain, et je vous raconterai les événements qui ont laissé à tout jamais dans ces lieux le deuil et la douleur.

Pressentant quelque drame dans cette histoire, j’acceptai cette invitation autant par curiosité que par intérêt.

Renée me fit donc dans la soirée le récit qu’on vient de lire. Au moment où elle terminait, une petite fille blonde et frêle nous rejoignit. Je fus frappée de l’expression déjà sérieuse et mélancolique de ce gracieux visage d’enfant.

— Voici la fille de Gabrielle, me dit Renée.

— Comme elle lui ressemble ! observai-je.

— Je crains pour son bonheur, reprit Mlle de Charassin, qu’elle ne lui ressemble encore plus au moral qu’au physique : elle est d’une précocité qui m’effraye, d’une impressionnabilité nerveuse qui me fait trembler à chaque instant qu’une émotion vive ne vienne briser cette organisation délicate. En me chargeant de l’éducation de cette enfant, j’ai pris, je le sais, une grande responsabilité ; car de l’éducation dépendent presque toujours le bonheur ou le malheur de la vie.