Page:Gagneur - Trois soeurs rivales.djvu/93

Cette page a été validée par deux contributeurs.

une tendre affection, une sorte de culte pour les exquises qualités de son cœur autant que pour sa beauté, j’allai lui faire une visite.

Je fus péniblement impressionnée en entrant dans la cour du château. Quoique la sollicitude vigilante de Renée eût maintenu partout un aspect d’ordre et de propreté, il régnait dans toute l’habitation je ne sais quel silence de mort, et mes pas sur les marches du perron produisirent un bruit sinistre qui m’effraya.

On m’introduisit dans le parc où se trouvaient M. de Charassin et Renée. Il faisait une pâle et tiède journée d’automne. Les feuilles jaunies, agitées par une brise mélancolique, commençaient à couvrir la terre, et le soleil ne brillait que faiblement à travers les nuages, dont les teintes grises augmentaient la triste disposition de mon esprit.

Renée et son père s’empressèrent de venir à ma rencontre. Je trouvai le baron peu changé. C’était une de ces natures que le chagrin ne fait qu’effleurer, parce qu’elles n’offrent pas assez de profondeur pour que la douleur y imprime ses ravages ; c’était toujours le vieillard jovial d’autrefois, avec quelques cheveux blancs et quelques rides de plus. Quant à Renée, je la reconnus à peine : elle était d’une extrême maigreur, et la raideur de sa contenance révélait une âme forte qui a courageusement résisté aux déceptions de la vie. Sa figure grave et allongée, empreinte d’une remarquable noblesse, offrait les teintes placides de l’ivoire jauni. De légers sillons, que j’observai sur le front et sur les tempes, annonçaient que le malheur avait prématurément imprimé les marques de la vieillesse sur ce visage de trente ans. Le mysticisme de ses