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sens, je ne mourrai pas ; d’ailleurs je veux vivre. C’est si bon la vie ! Il me semble que les cinq années qui viennent de s’écouler ne sont qu’un mauvais rêve, et que je me retrouve à dix-huit ans, dans notre cher vieux castel, insouciante et gaie comme autrefois. Nous nous aimerons encore longtemps, n’est-ce pas, mes bonnes sœurs, et nous serons encore longtemps heureuses ?

Henriette et Renée pleuraient de joie.

— Ne parle pas tant, lui disaient-elles, tu vas te fatiguer.

— J’ai tant de force aujourd’hui, et depuis bien longtemps je ne me suis senti le cœur aussi léger. La santé et le bonheur me rentrent par tous les pores ; laissez-moi donc vous dire tout le bien-être que j’éprouve. Quand je pense qu’il y a quelques jours je voulais mourir, étais-je folle ? je suis encore si jeune, et je puis redevenir belle. Renée, donne-moi donc un miroir.

Renée se leva et fit semblant de chercher un miroir.

— Je croyais autrefois, reprit Gabrielle, que je ne pouvais vivre sans amour. Aujourd’hui le sérieux pour moi c’est la vie elle-même, et je redoute ces sentiments violents qui causent la mort. Que de joie et de paix profonde, on trouve dans l’amitié !

Elle se tut un instant et parut pensive.

Vraiment, reprit-elle, je me sens complétement régénérée : j’éprouve moins d’aversion pour M. de Morges. Pauvre homme ! comme je l’ai rendu malheureux ! Comme j’ai été injuste à son égard ! Il m’aimait tant ! Renée, tu lui écriras qu’il vienne, que je désire sa présence ici. Je veux le voir et lui demander pardon de tous mes torts envers lui. Et ma fille, demanda-t-elle brusquement, comme réveillée en sursaut par ce souvenir, où est-elle ? je veux la voir !