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— Oh ! non, car depuis longtemps je m’habitue à la pensée de le revoir. Tu as aussi demandé Henriette, n’est-ce pas ? Je ne voudrais pas mourir sans m’être réconciliée avec elle, et… et je me sens très faible, ajouta-t-elle d’une voix si altérée que Renée l’entendit à peine.

— Je t’en prie, Gabrielle, ne parle pas ainsi, tu me déchires le cœur.

Et la bonne fille couvrit de larmes et de baisers les pâles mains de sa sœur.

En ce moment, une voiture entra dans la cour du château ; puis au bout de quelques instants un bruit de pas et de voix se fit entendre dans la maison. Gabrielle écouta, et, comme ce bruit se rapprochait, elle appuya sa tête sur le dossier de son fauteuil, et ferma les yeux comme pour recueillir ses forces et contenir son émotion ; mais bientôt, avec ce pressentiment du cœur ordinaire aux grandes passions, comme aux natures impressionnables :

— Ce n’est pas encore lui, murmura-t-elle. La porte s’ouvrit et M. de Charassin introduisit Mme de Vaudrey.

En revoyant Gabrielle dans cet état, Henriette eut un moment de stupéfaction et presque d’effroi ; mais elle se remit promptement, et dans un élan de pitié et de repentir, elle se jeta tout en pleurs dans les bras de la malade. Les trois sœurs, depuis si longtemps séparées, restèrent quelque temps émues, silencieuses, le cœur gonflé de larmes et débordé par les souvenirs du passé.

Henriette, elle aussi, était méconnaissable. Le chagrin concentré avec lequel elle vivait depuis cinq ans avait durci ses traits, assombri son visage, voilé son regard ; son menton s’était accentué davantage ; son teint, autrefois d’une pâleur transparente, s’était bruni et parcheminé. Il y avait de