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Dès ce moment, la discorde régna dans ce jeune ménage, et chaque jour se renouvelèrent des luttes semblables à celle que nous venons de décrire.

Quelques mois après son entrevue avec Henriette, Joseph Duthiou se maria et vint s’établir à Vaudrey. Il acheta une auberge et continua à pratiquer, à l’égard de Mme de Vaudrey, un odieux chantage. Outre les lettres, si chèrement vendues, il avait conservé quelques billets qu’il se fit également payer. Puis ce furent des demi-mots, des phrases inachevées, ou à double entente, qui revenaient aux oreilles de M. ou de Mme de Vaudrey, et apportaient entre eux de nouveaux sujets de querelle. Enfin, les anciennes amours d’Henriette devinrent, bientôt un bruit public. Dès lors elle se renferma dans une solitude absolue, osant à peine sortir dans la crainte des chuchottements et des regards moqueurs qui l’accueillaient sur son passage.

Cependant, comme tout s’efface, les bruits s’amortirent à la longue. À force de souffrir, l’âme d’Henriette s’émoussa contre la douleur. M. de Vaudrey, qui ne trouvait aucune distraction chez lui, s’absenta longtemps et fréquemment. Il se passionna pour la chasse, et délaissa sa femme pour ses chevaux et sa meute. Dès-lors le calme régna dans l’existence de Mme de Vaudrey, mais ce calme ressemblait à celui des régions polaires : c’était une vie froide et décolorée, sans une fleur, sans une brise parfumée, sans un chaud rayon de soleil. L’ardente jeune femme eût préféré à cette torpeur léthargique les poignantes émotions de la douleur.

MARIE GAGNEUR.

(La fin à demain.)