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nait une lettre à la main et son visage rayonnait de bonne humeur.

— Réjouissez-vous, mes enfants, une excellente nouvelle ! M. de Morges, un ancien garde-du-corps, un de mes bons amis, vient me voir, et s’annonce pour demain. Là-dessus, il entama avec son futur gendre une longue dissertation sur la descendance des de Morges ; puis il s’étendit avec complaisance sur des souvenirs qui le rajeunissaient d’une trentaine d’années, raconta tous les hauts faits et aventures galantes du beau de Morges, un brave, dit-il, haut de cinq pieds dix pouces et qui eut mis en fuite, par sa seule attitude, tout une armée de recors et de maris.

Le lendemain, M. de Morges arriva ; il pouvait avoir cinquante ans. C’était en effet un homme d’une stature fort respectable et qui ne trouvait son centre de gravité, vu la proéminence des régions intermédiaires de sa personne, qu’en rejetant en arrière la partie supérieure du corps. Son visage offrait une teinte uniforme de laque mélangée de vermillon et marbrée de petites lignes violettes sur les pommettes et sur le nez. Malgré la bouffissure de ses traits, on devinait que dans sa jeunesse il avait eu cette beauté régulière, mais inexpressive, assez commune chez les gens de race. Son crâne, étroit et élevé, n’était plus recouvert que de rares cheveux grisonnants. Ses yeux, à demi-clos par l’enflure des paupières, avaient une expression égrillarde qui révélait le viveur libertin. M. de Morges était riche et son allure trahissait tout à la fois l’impertinence du financier, la morgue du gentilhomme et le tranchant du militaire.