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V.


Aussitôt éveillée, elle s’habilla et passa dans l’appartement de son père. Avant d’entrer elle hésita un instant mais la fermeté de sa résolution l’emporta.

M. de Charassin, enveloppé d’une vaste robe de chambre et assis dans un immense fauteuil de l’autre siècle, contemplait avec béatitude les nuages de fumée qui s’échappaient d’une longue pipe de terre cuite, respectablement culottée.

Lorsque Henriette entra, son père, avec cette antique politesse française dont il usait même envers ses enfants, posa sa pipe, quoi qu’il pût lui en coûter, et adressant à sa fille un salut courtois :

— Eh quoi ! déjà levée, dit-il ; quelle importante nouvelle vous amène si matin, ma chère enfant ?

Henriette embrassa tendrement son père et répondit d’une voix tremblante :

— Quelque chose de bien grave, et je ne sais si j’oserai vous le dire, car je crains votre courroux.

— Voyons, ma bien-aimée fille, reprit paternellement l’excellent baron, remets-toi. Depuis quand donc te fais-je peur ? Parle vite, je t’écoute de mes deux oreilles.

Mais, comme Henriette hésitait encore, M. de Charassin, baisant sa fille au front, l’attira sur ses genoux.

Cette enfant lui était particulièrement chère ; elle lui rappelait sa première femme qu’il avait passionnément aimée.

Comme tous les êtres faibles, le vieux baron se montrait excessivement jaloux de son autorité ; intraitable quand on le heur-