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mentée par une vague effervescence. Elle avait lu quelques romans, entre autres le Compagnon du Tour de France. La figure idéalisée de Pierre Huguenin servit de type à ses ardentes rêveries. Elle bâtit tout un roman champêtre dont elle fut elle-même l’héroïne, et Joseph Duthiou le héros.

Afin de favoriser le développement de son idylle républicaine, Henriette persuada son père de faire restaurer par Joseph quelques peintures de la chambre rouge. Dès lors, le roman fut à peu près complet.

Ce furent d’abord, sous prétexte de s’intéresser aux travaux, des entretiens sur les réparations à faire, puis vinrent les intimes causeries, les discours chaleureux contre l’inégalité des conditions, les brûlantes déclarations de Joseph, qui n’y mit point, à coup sûr, la délicatesse ni l’honnête manière de Pierre Huguenin ; enfin, les lettres échangées à la dérobée et les rendez-vous, le soir, dans les sombres allées du parc.

Aussi, vers ce temps-là, vit-on Henriette témoigner, une grande ferveur à secourir les pauvres du village et montrer à tous une familiarité bienveillante ; et l’entendit-on souvent éclater en verveuses déclamations contre les préjugés de la noblesse et exalter la grandeur de la classe ouvrière. Comme le pauvre M. de Charassin s’emportait de la meilleure foi du monde contre les idées égalitaires et les harangues révolutionnaires de sa fille, c’étaient des émotions et des péripéties qui, au fond, plaisaient fort à Henriette, bien qu’elle prît alors des airs de martyre incomprise.

Tout étrange que paraisse au premier abord une liaison de cette nature, elle peut cependant s’expliquer jusqu’à un certain point. La campagne offre des exemples assez fréquents de cette condescendance de l’aristocratie féminine envers la gent rotu-